[RD Congo] Des cercles de paroles pour construire des masculinités positives

Sur sollicitation des femmes qu’elle forme et accompagne, l’APEF propose des ateliers aux hommes de Bukavu sur les thématiques des masculinités positives. Après des premières sessions test, l’APEF, également membre du collectif Former Pour Transformer qui a abordé ces thématiques en 2022, s’inspire de la démarche de CENCA, partenaire péruvien de Frères des Hommes pour adapter les contenus, formes et modalités de ces ateliers destinés aux hommes. On assiste alors, à une progressive ouverture des hommes sur les discussions autour des violences liées au genre et comment ils peuvent également être moteurs du changement.

Des formations nées d’un manque de réception des hommes face aux formations émancipatrices pour les femmes

Depuis plusieurs années maintenant, l’APEF et Frères des Hommes travaillent à l’accompagnement des femmes de Bukavu autour de formations émancipatrices. Ces dernières rapportaient que lorsqu’elles resituaient ces formations à leurs pères, leurs maris ou leurs frères, ils étaient peu réceptifs voire dénigraient même les sujets sur le genre, les violences basées sur le genre, l’importance du mariage civil, l’héritage, la gestion des revenus dans leur ménage etc. Les apprenantes ont sollicité l’APEF sur ces questions afin d’impliquer les hommes comme alliés dans les débats et les actions à mener pour l’équité de genre à Bukavu et lutter contre les masculinités hégémoniques.

Le format initialement prévu était 1 formation de 4 séances de 2h sur des thématiques similaires à celles des formations émancipatrices destinées aux femmes (genre, violences, mariages, gestion des revenus). Cette formation était ouverte à 15 hommes (maris, pères, tuteurs), faisant partie de l’entourage de ces femmes en formation à l’APEF.

L’APEF a cependant observé certaines difficultés à la pérennisation de ces formations. Notamment l’absentéisme et les retards, car même si les horaires étaient convenus par les apprenants eux-mêmes, certains ne pouvaient pas se permettre de ne pas travailler pendant un laps de temps. Mais aussi le désengagement, car après la réalisation de 2 cycles de formation, il a été constaté qu’il était difficile d’interpeler les hommes sur la déconstruction des masculinités traditionnelles sous un format de formation pas assez attractif pour les mobiliser sans qu’ils se sentent accusés. « La formation était trop théorique et était toujours en contradiction avec les usages et coutumes de la communauté. » rapporte Bénédict, alias Jean Jean, formateur à l’APEF.

De « formation à destination des hommes » à « cercle de parole et d’écoute entre hommes »

Pour répondre à ces difficultés, l’APEF réajuste son approche auprès des hommes et s’inspire de la démarche de CENCA, les deux organisations étant membres du collectif Former pour Transformer, au sein du quel des échanges de pratiques sur le genre et les masculinités positives ont eu lieu en 2022.

CENCA, notre partenaire au Pérou, organise des cercles de paroles en non-mixité pour hommes, « Habla Causa » , notamment né de Habla Mujer, notre projet d’accompagnement des femmes de Mariategui. Ainsi, l’APEF a remplacé « les formations sur les masculinités positives à destination des hommes » par « des cercles de paroles et d’écoute entre hommes ».

Ces cercles de parole et d’écoute en non-mixité se déroulent dans un lieu neutre, choisi par les hommes. « La réponse des hommes face à cette nouvelle méthode a été plus que satisfaisante. Premièrement la relocalisation de lieu a été bénéfique. Côté méthodologique, l’animation des discussions avec des questions simples et la prise en compte leur ressenti et vécu a permis aux hommes de se livrer plus facilement et de débattre en partageant leur avis et frustrations. » (Bénédict).


©Frères des Hommes

L’objectif est de leur permettre d’avoir un espace de parole et d’écoute libre non-mixte pour parler des problèmes qu’ils rencontrent dans leur quotidien tout en dirigeant, pour le facilitateur du cercle, les discussions sur la sensibilisation aux masculinités positives. C’est comme ça que ce dernier peut introduire des thématiques comme la gestion du revenu au sein des ménages, ou encore la question des violences liées au genre. « J’ai pu constater que ces cercles de paroles, ont permis d’aborder des sujets difficilement acceptés par la communauté. Le fait de commencer par parler de leur situation personnelle au travail, à la maison et les challenges qu’ils rencontrent en tant qu’hommes est une porte d’entrée efficace pour aborder les sujets comme les revenus au sein du couple, la gestion financière, la perception du rôle de la femme dans un couple, les violences basées sur le genre, initialement tabous à Bukavu. » (Bénédict).

Trois cercles de paroles et d’écoute ont été organisés et sont articulés autour :

  • des pratiques et comportements qui mènent à la construction de la masculinité aux différentes étapes de la vie ;
  • de la déconstruction de la masculinité hégémonique (dominante) pour trouver des nouvelles stratégies à travers les masculinités positives ;
  • de la compréhension des inégalités de genre dans la répartition des tâches domestiques et des rôles au sein du couple et de la famille.

Bénédicte nous partage les témoignages de deux hommes qui ont participé à ces cercles de parole et d’écoute :

« Le président du comité des parents, avec qui je préparais les cercles de paroles, a témoigné en me disant que ces cercles lui ont permis de connaitre le vrai statut de la femme dans le ménage. C’est-à-dire une collaboratrice, une partenaire et non pas une femme de ménage ou travailleuse. (…) Un jeune étudiant qui a participé à ces formations a témoigné qu’avant il pensait qu’un homme, et donc lui, ne pouvait pas s’occuper de la lessive, de la cuisine et tous autres travaux ménager si sa sœur ou sa maman était présente. Mais avec toutes ces discussions durant les 3 séances, il est parvenu a changé d’avis et à comprendre que ce n’est pas seulement un rôle de femme et qu’il peut aussi contribuer à ces tâches. »

Le changement de format a permis de contrer les problèmes d’absentéisme et de retard ainsi que d’instaurer un climat de confiance pour que les hommes s’impliquent davantage dans les échanges. Se sentant plus à l’aise pour partager leurs ressentis sur des thématiques initialement taboues à Bukavu, le facilitateur réussit à mieux introduire des discussions autour des masculinités positives et leur donner des outils ainsi que des pistes de réflexions pour qu’ils deviennent moteur du changement dans leur foyer et au sein de leur communauté.