« Le paysan sénégalais est considéré comme une partie importante de la société »

Le 17 avril 1996, des membres du Mouvement des travailleurs sans terre (MST) sont abattus par la police militaire de l’État du Pará, au Brésil. Depuis, le 17 avril est déclarée « Journée internationale des luttes paysannes ». Nous avons interrogé Ndiakhate Fall, secrétaire général de l’Union des Groupements Paysans de Meckhé, au Sénégal, sur la signification de cette journée pour ce mouvement paysan qui se mobilise pour la justice sociale et la protection de l’environnement.

Qu’est-ce que cette journée internationale des luttes paysannes représente pour l’UGPM ?

C’est important car on veut montrer que chaque paysan, où qu’il soit dans le monde, peut se mobiliser et montrer qu’il est là et qu’il a besoin de plus de justice et d’une position dans la société. Au niveau de l’Afrique de l’Ouest, la crise sanitaire a eu un gros impact, le vaccin n’est pas accessible pour tous, il faut montrer que c’est un droit, en étant équitable entre le milieu rural et le milieu urbain. Ensuite l’accès aux ressources naturelles doit être facilité pour pouvoir améliorer les conditions de vie des paysans.

Que signifie être paysan au Sénégal en 2021 ?

Il y a une forte évolution, il y a quelques années le paysan était considéré comme quelqu’un qui ne sait pas, comme quelqu’un un peu incapable. Les gens n’osaient pas dire qu’ils étaient paysans. Mais aujourd’hui, grâce notamment à un gros travail de sensibilisation des organisations paysannes, il y a un grand changement de mentalité. Le paysan est considéré comme une partie importante de la société, qui contribue, au même titre que les autres composantes sociales, au développement du pays. Actuellement, l’accaparement des terres est une vraie préoccupation. Des investisseurs internationaux, d’abord italiens mais de plus en plus indiens et espagnols, viennent acheter les terres. Toute la production agricole qui y est implantée est destinée à l’exportation. La zone du fleuve Sénégal et celle de Louga sont principalement menacées. Mais ce qui nous inquiète dans notre région du Kayor est le développement des industries minières qui menacent les paysans. Après, c’est vrai, avec la crise sanitaire, les paysans prennent un peu leur revanche. Maintenant les gens de la ville viennent à la campagne pour ramener de quoi manger.

Où en est la question de la sécurité alimentaire nationale ?

C’est toujours un problème au niveau du pays, beaucoup de programmes de production agricole ont été mis en place par le gouvernement mais ils concernent surtout le riz et une zone géographique en particulier. Or les principales céréales sont le mil ou le maïs, dont les techniques de production sont bien maitrisées par les paysans et les investissements pour soutenir ces productions ne suivent pas. Aujourd’hui, le pays n’a pas atteint l’autosuffisance en riz, on en importe encore beaucoup.

Comment faites-vous le lien au niveau de l’UGPM entre justice sociale et protection de l’environnement ?

En essayant de faciliter l’accès aux ressources naturelles et pour nous cela passe par la gestion communautaire. Mais il faut pour cela que tout le monde soit impliqué, à la fois les paysans et les autorités publiques. Comment imaginer un paysan qui entretient ses arbres mais ne peut profiter de ses ressources car l’Etat lui interdit ? On essaye de mettre en place des conventions pour l’utilisation des ressources naturelles où tout te monde est partie prenante.

Par quels moyens faites-vous entendre la voix des paysans aux responsables politiques ?

On travaille sur deux niveaux, d’abord le niveau local, notamment à travers des rassemblements publics pour parler des problèmes des paysans. Ensuite au niveau national, nous faisons partie du mouvement paysan que nous alimentons par des remontées de terrain.

Quel regard portez-vous sur les récentes émeutes qui ont éclaté dans le pays ?

Macky Sall, le président, s’est limité à parler de la crise sanitaire et du chômage. A mon avis ces émeutes dépassent largement ce cadre. Oui, il y a le chômage des jeunes mais quand ceux-ci essayent de prendre des initiatives, l’Etat ne les soutient pas, ou quand certains de ces jeunes périssent en mer en tentant d’émigrer, l’Etat ne réagit pas. Cela donne l’impression que l’Etat ne s’intéresse pas aux problèmes de la population. L’autre élément est le couvre-feu, mais ce qui a causé ces émeutes, c’est l’Etat d’urgence, car plus personne ne peut vendre ni acheter sur les marchés. Mais surtout l’état de droit est oublié, les gens se rendent compte que la justice ne fonctionne pas et que Macky Sall, voudrait briguer un 3ème mandat. Tout cela a été aggravé par l’arrestation d’Ousmane Sonko, qui a été perçue comme une tentative d’éliminer un opposant politique. Toutes ces raisons ont fait que les gens étaient très remontés.

Peux-tu nous parler du projet mené avec Frères des Hommes, quels sont les objectifs, quels sont les enjeux ?

Nous nous sommes mobilisés ensemble sur un 1er projet pendant 3 ans, il s’agit maintenant de la phase n°2. 10 nouveaux groupements paysans vont intégrer cette phase pour un total de 50 groupements accompagnés par notre organisation. Notre but est de renforcer le dispositif de suivi/accompagnement de l’UGPM, à travers des animateurs dits « endogènes » qui travaillent au sein même des villages, accompagnés par des animateurs dits « centraux ». Un soutien aux activités économiques de nos groupements paysans a aussi été organisé, en les centrant sur l’agro-écologie pour les rendre plus attrayants aux yeux des jeunes. Et nous mettons en place des modules de formation sur la gestion administrative et financière ainsi que sur la « bonne gouvernance ». Enfin, nous allons travailler aussi avec les autres organisations du collectif Former pour transformer, qui nous permet de nous enrichir mutuellement.