« J’ai l’habitude de transmettre tout ce que j’apprends »

Entretien avec Augustin Roland, Nativita Jean, Joseph Jonsy, trois jeunes paysan(ne)s en cours de formation en agroécologie. Ils expliquent leurs parcours, leurs attentes et pourquoi ils veulent rester en Haïti.

Une journée de formation, cela ressemble à quoi ?

Augustin :On fait la pratique le matin, la théorie l’après-midi. A chaque thème vu pendant la formation, on fait de la pratique, par exemple, la conservation de bassins versants (protection contre l’érosion des espaces situés entre deux collines ou montagnes et abritant une ou plusieurs rivières) ou le cerclage (entretien manuel de la terre à l’aide d’une machette ou une houe). On va sur le terrain du MPP à côté du centre de formation. Dans l’après-midi, on retourne dans la salle pour la théorie et là on est capable de poser des questions. Des fois, on se déplace sur des terrains du MPP à Bassin Zim ou à Colladère (à 10 km du centre).

Qu’est-ce que cette formation vous a appris de plus important ?

Joseph : Moi c’est l’introduction à l’agroécologie, c’est ça que j’ai retenu, car ça amène à tous les autres thèmes de la formation, tout se suit.

Augustin :Moi je trouve plein de choses très importantes, la gestion de la pépinière, la protection des bassins versants. On peut planter beaucoup de choses, notamment des arbres, et avoir un bon rendement. On peut protéger le sol comme ça.

Joseph : On entend parler de l’agroécologie depuis l’école, mais c’est un mot, ça n’allait pas plus loin. On ne prenait pas le temps de l’expliquer, c’est ici qu’on apprend à le faire.

Comment ont réagi votre famille et vos voisins, quand ils vous ont vu vous former ?

Joseph :Quand on revient des journées de formation, on revient toujours avec quelque chose de nouveau, on donne des conseils aux autres paysans pour qu’ils produisent autrement. Donc ils ont plutôt bien réagi.

Augustin : Le plus important c’est la transmission de la connaissance.

Nativita  : Moi aussi j’ai l’habitude en arrivant chez moi de transmettre tout ce que j’apprends. Chez moi les gens ont l’habitude d’utiliser la technique du brûlis (technique qui consiste à brûler ce qui est à la surface d’un champ pour le fertilise). Moi je leur ai dit que ça n’est pas bon. Ils utilisent des engrais chimiques, je leur ai dit que ça n’était pas bon non plus, ni pour nous ni pour
les sols.

Augustin : Grâce aux « brigades agro-sylvicoles », je vais chez mes
voisins pour voir comment mieux aménager les jardins. On construit ensemble les pépinières. J’amène les techniques de la formation dans ces brigades. Avant on pratiquait le "konbit", maintenant ça a tendance à disparaître. Avec les brigades, avec les formations, on se sent de nouveau proche, de nouveau solidaire.

Joseph : La formation est très importante, elle nous donne beaucoup de connaissances. Avant je ne plantais que du maïs, mais ça ne rapporte pas beaucoup d’argent, tandis que maintenant je plante du piment, de la papaye, et je fais plus de rendement.

Nativita : On fait plus de cultures différentes, on apprend comment consommer une nourriture saine.

Augustin : La formation nous a montré qu’on n’a pas besoin de beaucoup de terre, et qu’on peut utiliser de l’engrais naturel, du compost.

Est-ce que vous vivez de votre culture ?

Nativita : Pas tout de suite, mais au fur et à mesure oui, je peux devenir
indépendante.

Augustin : Je suis plus capable de prendre soin de ma famille, je n’ai pas besoin d’argent pour acheter toute la nourriture, je peux me débrouiller moi-même, et ce que je ne consomme pas, je peux le revendre au marché. J’ai mis en place une pépinière, un jardin "prékay" ("À côté de la maison"), je plante des oignons, poivrons, poireaux, que ma mère n’a plus besoin d’acheter au marché, c’est ça en moins à dépenser.

Avez vous envisagé de quitter le pays,comme de nombreux Haïtiens qui émigrent au Brésil, au Chili ou en République dominicaine ?

Nativita  : Je ne quitterai pas Haïti, j’y pensais avant mais depuis que je suis cette formation je n’irai nulle part ailleurs.

Augustin : Je n’ai aucune intention de quitter le pays, quelle que soit la situation. J’espère que ça va changer, je suis né là et je dois rester pour que la situation s’améliore.

Qu’est-ce que veut dire pour vous être paysan en Haïti en 2017 ?

Joseph :Dans le passé, le mot paysan c’était comme une injure. Maintenant c’est différent, beaucoup de gens pensent que ce sont les paysans qui tiennent le pays, qu’ils le nourrissent. Tout le monde peut apprendre l’agroécologie, ça n’est pas un problème.

Nativita : Pour moi, le mot paysan a une grande importance, c’est le
paysan qui produit ou élève, que ce soit la banane ou une chèvre.

Joseph : Ce qui pourrait faire changer les choses, c’est l’État, mais c’est un État irresponsable, c’est donc à nous de nous organiser pour faire changer les choses.

Augustin : L’État n’est pas seul responsable, je le suis moi aussi. Je produis beaucoup de choses moi-même et je n’ai pas besoin de l’État pour vivre.

Nativita : Le choix des dirigeants est mal fait, n’importe qui dirige en Haïti. Les députés, les sénateurs, au moment des campagnes, promettent beaucoup de choses. Le président actuel a aussi promis beaucoup de choses.

Joseph : Il va passer 5 ans au pouvoir mais sans rien faire, il a été élu grâce aux plus riches. Et les paysans ne vont rien en tirer.