Inde : « l’espoir que les luttes ne sont pas vaines »

Le premier mai rappelle les luttes des travailleurs. A cette occasion, nous avons décidé de regarder du côté de l’Inde, où Frères des Hommes et Fedina mènent un projet avec les travailleuses du secteur informel. On en parle avec Sebastian Devaraj (directeur de Fedina) et Usha Ravikumar (coordinatrice du projet).

Lutter contre toutes les discriminations, en particulier dans la sphère du travail

« L’oppression et la violence contre les femmes sont profondément ancrées dans la société en Inde », Sebastian Devaraj plante le décor, « les femmes subissent différents types de violences presque à chaque minute de leur vie. C’est une réalité, en tout cas pour celles avec qui nous travaillons.  » Ces femmes, ce sont des travailleuses du secteur informel qui, parce qu’elles sont des femmes et qu’elles appartiennent à des castes inférieures, sont discriminées au quotidien. « Le projet cherche tout simplement à renforcer les capacités individuelles et collectives de ces femmes. Le but, c’est qu’elles puissent se mobiliser pour se battre tant contre les violences domestiques que contre les discriminations sur leurs lieux de travail » résume Usha Ravikumar. Elle ajoute : « L’objectif est aussi qu’elles obtiennent des droits et des rémunérations égaux à ceux des hommes. »

« Même si les lois ont été actées, elles n’atteignent pas les femmes. »

Pour Sebastian Devaraj, c’est tout d’abord parce qu’en Inde, « les institutions censées protéger les femmes sont elles-mêmes patriarcales. Elles sont dominées par les hommes, et donc même si les lois ont été actées, elles n’atteignent pas les femmes. » Pour lui, un autre facteur plus global est aussi à prendre en compte : « Pour les derniers gouvernements successifs, les lois sont trop strictes et découragent les investissements étrangers, qui se tournent alors vers des pays comme le Bangladesh ou la Chine. Ils ont donc cherché à diluer toutes ces lois, pour que le business ou l’installation d’industries en Inde soit plus facile. »
Sebastian donne l’exemple des headload workers, c’est-à-dire les femmes qui portent de lourdes charges sur leur tête, par exemple dans les marchés : «  Elles ne sont payées qu’un demi-salaire pour huit heures de travail. Puis, leurs employeurs les forcent à être domestiques chez eux. Elles ont donc deux emplois pour l’équivalent d’un demi-salaire. Il existe des lois pour les protéger : elles ne sont pas censées travailler plus de huit heures, porter plus qu’un certain poids, on doit leur fournir un vêtement, elles doivent avoir une pause pour le repas… Toutes ces lois sont là. Les faire travailler dans sa maison gratuitement est absolument illégal ! Mais il se trouve que ces femmes font partie des castes les plus basses, et leurs employeurs font partie des castes supérieures. A cause de ce facteur, elles se sentent obligées d’accepter. »

Retrouver de la dignité sur le lieu de travail

Dans ce contexte, le projet de Frères des Hommes et Fedina se donne pour mission d’informer les femmes sur leurs droits, pour « qu’elles puissent résister ensemble, tout en retrouvant de la dignité sur leurs lieux de travail. » Concrètement, cela passe par des formations, comme le raconte Usha : « Ces trois derniers mois, nous avons mené plusieurs formations pour les femmes sur le droit du travail. Une était sur le droit à l’accès à la sécurité sociale, une autre sur le droit à une rémunération égale aux hommes pour un travail égal.  » Sebastian ajoute : « On essaye de leur dire qu’elles ont le droit de demander par exemple du repos, ou bien tout simplement un salaire digne. Parce que souvent, les femmes pensent qu’elles sont plus faibles, qu’elles travaillent moins que les hommes.  » Leur faire prendre conscience qu’elles ne méritent pas moins que les hommes est alors un premier pas : « S’il y a une grande force portée par des femmes qui sont informées, conscientisées, les choses pourront bouger ! »

« Prendre du courage dans les luttes menées par le passé »

Sebastian conclut sur l’importante des journées comme le premier mai : « Aujourd’hui, les attaques contre les travailleurs sont vraiment fortes et vicieuses. Le secteur des entreprises et ceux qui détiennent le capital ne veulent pas que les travailleurs s’organisent pour pouvoir en tirer plus de profit. Pour ça, ils utilisent la peur. Dans ce contexte, il faut se rappeler et prendre du courage dans les luttes menées par le passé. Je pense que c’est quelque chose de très important aujourd’hui. Pour donner aux femmes le courage de se battre, pour leur donner l’espoir que les luttes ne sont pas vaines.  »