RDC : « Nous ne voulions pas vivre en monarchie »

Ce samedi 8 juin, ambiance de fin d’année au centre de formation de l’APEF, l’Association pour la Promotion de l’Entrepreneuriat Féminin, installée dans la ville de Bukavu, à quelques kilomètres de l’immense lac Kivu et à quelques encablures du Rwanda. La cinquantaine de femmes du centre vient de terminer sa formation en coupe couture et en broderie.

Toutes ont reçu leur diplôme, reconnu par l’Etat congolais. Pour beaucoup, ce diplôme est une première. Ce qui peut sembler fréquent dans d’autres pays est à Bukavu chargé en symbole. C’est dans la région du Sud-Kivu qu’avait éclaté en 1996 la rébellion de Laurent-Désiré Kabila, le père de l’ancien président, lequel avait renversé le maréchal Mobutu en mai 1997. Depuis cette date, les tensions, alimentées par les convoitises pour les richesses minières, n’ont jamais cessé. Les femmes sont en première ligne. Outre ces conflits, elles sont discriminées à la fois dans leur communauté mais aussi de la part de leurs maris. Souvent elles exercent une activité précaire, dans le petit commerce par exemple, pour faire vivre leur famille. « La femme ou la fille dans la société congolaise était auparavant sous-estimée, on ne la considérait pas, on pensait que sa place était à la cuisine, au champ. Elle ne pouvait pas étudier parce que le père pensait que le diplôme de la femme finissait à la cuisine. Et c’est pour ça que la fille a été méprisée pendant longtemps. » dit Martine Iranga Chibanvunya, une des femmes qui a suivi la formation. Elle poursuit : « Mais aujourd’hui, il y a une certaine évolution. La femme peut désormais parler et être comprise en tant que femme, elle peut planifier et réaliser une activité en tant que femme, elle peut partout désormais proposer une idée dans sa famille, dans son église. Ce qui n’était pas le cas auparavant. »

L’importance du groupe

Ce samedi 8 juin à Bukavu, parmi les femmes diplômées commence à se dessiner l’« après » formation. Que faire une fois formées ? Continuer seule ou s’installer en groupe ? Pour l’APEF, la réponse se trouve dans le collectif car il offre aux femmes un espace où elles peuvent changer leur situation en trouvant la force de résister à la pression sociale. Cet espace se construit grâce à des formations, à la fois techniques (elles apprennent un métier) et sociales (à travers les formations que l’APEF appelle « émancipatrices » sur le droit des femmes). Pendant leur séjour au centre de formation, les femmes sont sensibilisées à la nécessité de se regrouper en « Unités de production collective ». Pourquoi en collectif, pourquoi ne pas rester seule ? C’est devenu une marque de fabrique de actions mise en place par Frères des Hommes et ses partenaires, du Pérou jusqu’en Inde : Grâce à ces formations et des mobilisations en commun se construit une dynamique collective. Le groupe prend progressivement conscience de son pouvoir d’action, se donne les capacités et les moyens de changer la situation de ses membres. C’est l’autonomie individuelle et collective qui devient possible. C’est ce que décrit Olga : « On nous a appris comment nous regrouper, on nous a aussi appris l’importance du groupe qu’on va constituer. Je vais travailler avec mes collègues de la formation. C’est-à-dire que quand je ne saurai pas faire quelque chose, les autres pourront amener leurs connaissances et m’aider à terminer. » Dorcas Furaha Ndindi, présidente d’un groupe de plusieurs femmes artisanes, va dans la même sens : « Après la formation, nous nous sommes constituées en groupe. Notre groupe a 5 membres, nous travaillons ensembles et nous nous complétons. Je peux peut être fabriquer un modèle que l’autre ne sait pas faire ou soit l’autre peut connaitre un modèle que moi je ne connais pas et cela peut nous permettre de nous compléter et de nous apprendre mutuellement. Quelqu’un peut initier une idée sur un modèle et le groupe y travaille ensemble. »

« Nous nous sommes choisies selon nos compétences »

Le collectif s’organise mais pas de n’importe quelle manière. Le vote entérine l’organisation de l’unité de production collective. Si les rapports de domination sont le quotidien de ces femmes, au sein du foyer ou plus globalement dans la société congolaise, il n’est pas question de les reproduire au sein du groupe. Dorcas le dit : « En constituant les groupes, nous ne voulions pas vivre en monarchie et nous nous sommes constituées une communauté à partir d’un vote pour avoir la présidente, la caissière, la chargée du marketing, la secrétaire et la chargée de l’approvisionnement. Et donc chacun a son rôle à jouer dans le groupe. » Wivine Nakanyi est membre du même groupe : « Nous nous sommes choisies selon nos compétences et capacités diversifiées dans le but de nous compléter pour bien travailler ensemble et après on a voté pour répartir entre nous les différentes tâches. Nous n’avons pas tenu compte de nos milieux sociaux mais seulement de nos compétences. » L’autonomie (collective et individuelle) est en marche.