[Pérou] Accompagner l’émancipation des femmes solidaires de Mariategui

Voilà deux ans que ce qui ne devait être qu’une initiative d’urgence s’est pérennisée dans les banlieues de Lima. Les ollas comunes (ou marmites communes) du quartier de Mariategui se sont structurées et répandues, et portent désormais l’espoir d’une plus grande place donnée aux femmes dans l’espace public liménien.

Au début de la crise de la Covid-19, nombreux étaient les foyers déjà précarisés de la banlieue de Lima dont les conditions de vie se sont empirées avec les mesures sanitaires restrictives. Sans emploi et parfois malades, les habitantes et habitants de Mariategui ont fait face à un besoin criant : celui de l’accessibilité à l’alimentation dans leurs quartiers. C’est alors que Cenca, notre organisation partenaire à Lima, a été témoin d’une mobilisation inédite des femmes qu’elle accompagnait jusqu’alors à travers son projet Habla Mujer.

Davis Morante, directeur de Cenca, se souvient : «  Elles (les femmes) se sont organisées en lançant les marmites communes. Ce sont les femmes du quartier qui ont pris l’initiative. Elles ont commencé à cuisiner en commun ce qu’elles avaient et à le distribuer aux habitants du quartier. » Avec le soutien de Cenca, les femmes mobilisées dès le début de la pandémie ont poursuivi leur action de solidarité. Davis appui d’ailleurs la nécessité de faire se poursuivre cet élan de solidarité : « Nous estimons que le problème de la faim, après la pandémie, va se stabiliser, ce qui ne veut pas dire que la faim va disparaître parce que nous parlons des "Ollas comunes" dans des communautés pauvres et où la pauvreté a toujours existé, et ce que la pandémie a fait, c’est mettre en évidence et aggraver cette situation  ».

La pérennisation d’une initiative d’urgence

Plus de deux ans après les débuts de cette initiative populaire, les marmites se structurent davantage : dans chaque quartier, des femmes volontaires s’organisent entre elles pour cuisiner à tour de rôle et alimenter les marmites destinées à une vente à bas prix pour leur voisinage. Griselda Congachi Huamansana est secrétaire et membre active de la marmite commune de R8J, organisation communautaire dont elle est par ailleurs présidente. Elle nous explique : « Il y a des dons qui arrivent ou de l’argent pour faire des achats ou la préparation. Ça coûte 50 centimes par assiette. C’est seulement pour le repas de midi. Avec l’argent qu’on arrive à collecter, on décide jour après jour ce qu’on va cuisiner le lendemain. […] Puis on cuisine, on nettoie, on distribue.  » La collecte de fonds à des fins de solidarité a été présente dès le début des marmites communes, mais s’organise encore davantage, comme le dit Griselda : « Avec d’autres femmes, on a créé une nouvelle organisation qui s’appelle Amopa qui est faite pour chercher plus de dons et distribuer aux autres femmes. On se réunit pour envoyer des sollicitations à des entreprises qui pourraient nous donner des aliments. Si on trouve des aliments, on les distribue entre les différentes ollas qu’on connaît et les personnes qui en ont vraiment besoin récupèrent des vivres.  »

Griselda Congachi Huamansana en préparation d’un repas dans son olla comùn

Pour Davis Morante, cette initiative tombe à point nommé dans le projet Habla Mujer, mis en œuvre avec Frères des Hommes depuis 2017 : les femmes impliquées dans les marmites communes sont accompagnées par Cenca pour faire reconnaître les ollas comunes comme des organisations sociales de femmes : « Il y a eu une continuité réelle à partir de la nécessité immédiate qui à ce moment-là était l’urgence de l’accès à l’alimentation. On a toujours cherché à travailler sur l’émancipation des femmes et précisément le travail avec les ollas comunes a été réalisé avec des femmes avec lesquelles nous avions travaillé les années précédentes dans le cadre du projet Habla Mujer. Ensuite, elles se sont organisées et ont initié le travail des ollas comunes et ont rejoint d’autres femmes. Il est important de souligner l’organisation des femmes et de pouvoir partager cette expérience. Il ne s’agit pas de formaliser la pauvreté à travers les olas comunes, mais que les ollas comunes soient aussi un espace permettant aux femmes de s’émanciper.  »

Porter sa voix jusqu’aux sphères politiques

En accompagnant les femmes dans leur structuration en collectif pour faire entendre leur voix, Cenca met en lumière et en application sa vision féministe, dans un pays où le machisme reste prégnant. Davis témoigne en ce sens : « Pour nous, il est important de continuer à contribuer sainement avec des communautés équitables où l’approche du genre est l’une des alternatives pour continuer à promouvoir les travaux sur l’égalité. L’importance du projet "Habla mujer", du travail que nous faisons, est précisément de visibiliser les rôles des femmes dans la société. »

Il ne s’agit pas en effet que de répondre à une situation problématique locale, mais de s’appuyer sur cette nouvelle organisation collective de femmes pour faire entendre des voix minoritaires ! Davis explique : « C’est tout un processus depuis la première approche de la formation et toutes les expériences d’accompagnement comme la collecte et la récupération des aliments jusqu’au processus de plaidoyer. Pour nous il est très important que ces activités qui sont menées avec les femmes des ollas comunes soient transférées à des espaces de décision politique afin que cette expérience transcende et touche d’autres personnes.  »