« La solution était de s’auto-organiser »

Travaillant au cœur du quartier populaire de Mariategui, dans la banlieue de Lima, Esther Alvarez est avocate pour Cenca, notre partenaire. Elle a adapté son aide juridique aux femmes de ce quartier et également accompagné l’essor des « marmites collectives », la réponse spontanée et collective des quartiers populaire à la crise.

Quel est ton rôle dans l’aide juridique que propose Cenca ?
Mon rôle est de donner des orientations, des conseils juridiques aux femmes qui viennent me voir, souvent pour des situations de pension alimentaire non réglée. Il y a aussi des cas de violence conjugale ou de divorce. J’accompagne le processus. Par exemple quand une femme vient me voir pour un cas de violence conjugale je vais lui conseiller quoi faire, comme se rendre à la police, alerter les services sociaux. Ces femmes ne connaissent pas les moyens légaux de faire face. Je leur explique tout cela. Je fais ça entièrement au téléphone depuis la crise sanitaire. Sinon mon autre activité est d’accompagner l’organisation des cantines populaires. On a commencé, au sein de Cenca en créant un groupe whatsapp des membres des cantines du quartier de Mariategui, puis petit à petit des environs. Nous avons ensuite encouragé ce type de réseau dans tout Lima car depuis la crise sanitaire, la faim est présente partout dans la ville. Beaucoup de gens étaient et sont sans revenus. La solution était de s’auto-organiser. Nous avons accompagné le processus. Nous faisons aussi en sorte que ces cantines soient reconnues par l’Etat et qu’elles bénéficient d’un soutien financier. Dans Lima, il y a près de 1 800 de ces cantines, qui bénéficient à près de 200 000 personnes et pour beaucoup, c’est le seul moyen de se nourrir.

Une des membres de ces cantines nous disait que grâce à elles l’Etat prenait enfin en compte la réalité des quartiers populaires, quelle est votre opinion à ce sujet ?
Oui, c’est tout à fait vrai. Mais c’est un vrai processus de lutte. Un an après le début de la crise sanitaire, l’Etat a officiellement reconnu ces cantines comme faisant partie de l’intérêt national. Car l’Etat les confondait avec un autre système (de cantines) mis en place dans les années 90 après la présidence de Fujimori . Celles-ci se trouvent dans les parties basses de San Juan de Lurigancho et ont été fermées à cause de la crise.


Esther Alvarez dans les bureaux de Cenca, à Lima

Vous avez le sentiment que l’Etat ou la mairie de Lima jouent leur rôle ?
Ils essayent de faire des choses mais c’est insuffisant. Tu ne peux résoudre en deux minutes un problème vieux de 10 ans car le système de santé est dans un état déplorable. La population continue d’être contaminée car beaucoup n’ont pas d’autre choix que de sortir chaque jour pour chercher du travail. Les cantines populaires aident à faire face à ce type de situation. Quand une famille entière est contaminée, comment fait-elle pour survivre si le père et la mère ne peuvent pas sortir gagner leur vie ? Il y a une grande solidarité dans les quartiers populaires, ça doit être souligné. C’est une solidarité entre voisins, mais aussi de la part de commerçants qui, comme dans le marché de Santa Anita, donnent des fruits et légumes aux cantines populaires. Sans ces cantines, le risque que des personnes meurent de faim était et reste bien réel. Ce qui a été mis en place à San Juan de Lurigancho a inspiré d’autres districts de Lima. C’est pour ça que le besoin de s’organiser est important, pour pouvoir échanger, trouver de nouvelles idées.

Qu’est ce qui a changé pour les populations ?
Les gens sont plus vulnérables, c’est un fait. C’est une situation globale difficile, complexe. La santé mentale de la population a été durement touchée. La crise économique est et sera forte. Ce qui donne de l’espoir est que les gens ne restent pas les bras croisés. Ils s’autogèrent, cherchent des solutions. Mais cela créé des difficultés aussi, il ne faut pas croire que tout s’est fait facilement.

Qu’est ce qui a changé pour les activités d’aide juridique ?
Le fait que tout soit maintenant virtuel a tout changé, pour moi et pour les femmes qui viennent me voir. Par exemple pour la signature de documents officiels, utiliser whatasapp n’est pas le plus facile. Les audiences devant le tribunal se font aussi de manière virtuelle, c’est compliqué mais on s’adapte. L’aide juridique a lieu tous les mardis, ça continue comme avant.

Est-ce que vous avez constaté une augmentation de la violence conjugale depuis le début de la crise ?
Oui il y a une augmentation de la violence. San Juan de Lurigancho était déjà un des districts les plus touchés par ce type de violence dans Lima. La quarantaine, la tension, n’ont fait qu’exacerber les choses.

2021 est le bicentenaire du Pérou, j’ai vu sur le site dédié à l’évènement le slogan « le pays que nous voulons », du coup ma question : quel pays voulez-vous ?
Un pays avec de la justice sociale, un pays démocratique, sans inégalités, qui donne la même chance à tous. C’est ce que nous devons construire.