Comment les paysans ont vécu le confinement ?
Fidèle Mutabazi (Duhamic-Adri) : Ça a été une surprise. L’immobilisation du pays la dernière quinzaine de mars a été difficilement vécue. La grande partie des paysans que nous accompagnons cultive aussi pour d’autres propriétaires, des commerçants, des enseignants, qui eux étaient tous confinés. Ça a eu un impact. En termes de sécurité alimentaire, cette période a fait des dégâts, beaucoup ont empiété sur leurs réserves, c’était une affaire de survie. Certains avaient des réserves importantes, d’autres moins. Après au niveau de la maladie, les gens se sont bien rendus compte de sa dangerosité, bien sûr certains n’y croient pas mais c’est une minorité. Les autorités ont été présentes pour faire passer le message.
Les marchés sont ouverts maintenant ?
Juvénal Turahirwa (Adenya) : Ils sont ouverts oui mais les mesures de prévention et distanciation sont présentes, les gens doivent porter un masque. Les magasins alimentaires fonctionnent mais les lieux de culte et les écoles restent fermés. Depuis le confinement les marchés ne se sont en fait jamais arrêtés, il y avait juste des mesures à respecter.
Comment avez-vous gardé le lien avec les paysans ?
Fidèle Mutabazi (Duhamic-Adri) : Nous travaillons avec ce qu’on appelle des animateurs de proximité, qui sont en contact avec nos collectifs paysans. Quelquefois ces animateurs allaient directement rendre visite aux familles paysannes. Le contact n’a jamais été coupé, juste ralenti.
L’Union des Groupements Paysans de Méckhé, notre partenaire au Sénégal, nous parlait de la grande différence entre villes et campagnes dans cette crise.
Fidèle Mutabazi (Duhamic-Adri) : C’est la même chose au Rwanda. En ville, il y a les journaliers, les maçons, les motos-taxis, ceux-là ne peuvent manger seulement lorsqu’ils travaillent. Pour ces gens-là, la crise a été un vrai problème. Au début du confinement certains partaient des villes pour essayer de trouver de meilleures conditions dans leurs familles. Dans les campagnes, les paysans ont toujours pu cultiver leur terre.
Comment vous voyez l’après Covid ?
Fidèle Mutabazi (Duhamic-Adri) : Cette période a démontré que le monde est inique, injuste et que l’équité, la justice sociale, la répartition des richesses, l’environnement sont des questions à aborder.
Juvénal Turahirwa (Adenya) : Les mentalités vont changer, vivre en milieu rural peut être un atout pour certains. Pendant la crise, des citadins sont venus habiter à la campagne.
Est-ce que le système social et économique au Rwanda a aggravé les conséquences de la crise ?
Fidèle Mutabazi (Duhamic-Adri) : On l’a vu. Tout d’un coup, dès le confinement déclaré, la grande partie de la population du pays n’a rien eu à manger, c’est un signal clair. Nous sommes témoins de cette inégalité ou tout au moins cette vulnérabilité. Ce sont des questions que nos autorités doivent se poser.
Comment peut-on répondre à la fragilité de ce système ?
Juvénal Turahirwa (Adenya) : Nous devons unir nos efforts dans un travail d’interpellation de nos autorités pour que cette équité sociale soit prise en compte.
Fidèle Mutabazi (Duhamic-Adri) : On peut agir au niveau de nos collectifs, on doit interpeller nos politiques pour qu’ils prennent en compte cet état des choses. Il faut chercher des solutions à travailler sur le développement ou la répartition des richesses.
Comment les plus vulnérables peuvent être inclus dans ce changement ?
Fidèle Mutabazi (Duhamic-Adri) : C’est une dynamique à enclencher, nos deux organisations participent déjà à cet éveil de conscience des populations, en plus d’un travail d’interpellation.
Une des réponses à cette crise peut-elle venir d’une alliance entre nous, vous et les populations en situations de vulnérabilité ?
Juvénal Turahirwa (Adenya) : Le fait de se mettre ensemble dans un collectif est en effet important, à un niveau très local d’abord. Par exemple les tontines de paysans ont montré leur efficacité pendant la crise. Elles ont vraiment contribué à la survie de certaines familles. Donc oui l’alliance peut être une réponse.
Fidèle Mutabazi (Duhamic-Adri : L’alliance c’est la force et la conviction. Quand on a une problématique commune, cette alliance repose sur une prise de conscience d’un objectif commun. C’est un peu ce que j’ai vécu pendant nos séminaires avec Frères des Hommes, où on construit une vision commune.
Quel sera le futur pour vos organisations ?
Nos animateurs sont aux côtés des paysans, seules les actions avec un nombre limité de personnes sont poursuivies mais nous n’avons pas repris les grandes réunions ou les formations des paysans. Il y a des activités que nous avons menées à distance, notamment la capitalisation et l’évaluation du projet mené avec Frères des Hommes. Nous verrons comment la situation évolue, cela fait plus d’un mois que le Rwanda est en période de déconfinement.