« Prouver que nous sommes là »

Dès le début de la crise sanitaire, sans autre choix que s’auto-organiser, les quartiers populaires de Lima, accompagnés par notre partenaire Cenca, ont monté un réseau de cantines populaires, avec pour but de nourrir la population. Celestina Dominguez est femme au foyer, habitante du quartier de Mariategui, (dans le district de San Juan de Lurigancho, le plus peuplé de Lima) et très tôt impliquée dans ce qu’on appelle les « ollas comunes », les « marmites collectives ».

Comment a été créée la cantine populaire dans votre quartier ?
Avec la crise sanitaire, beaucoup de familles dans mon voisinage se sont retrouvées sans travail. Il y avait beaucoup de précarité. C’est comme cela qu’avec un groupe de mères nous avons décidé de mettre en place cette cantine. On cuisine à tour de rôle pour le voisinage, notamment pour des familles qui ont attrapé le Covid et qui ne peuvent pas trouver de quoi s’alimenter. On vient aussi en aide aux autres quartiers autour de nous. Car même si certains habitants ont retrouvé du travail, le salaire n’est plus le même qu’avant. Certains parents doivent tous les jours trouver du travail et n’ont pas forcément le temps de bien s’occuper de leurs enfants. Avec la cantine, les gens peuvent avoir de quoi manger de manière sure.

Que ce serait-il passé sans cette cantine collective ?
Il aurait de toute façon fallu trouver une solution pour que les enfants puissent manger normalement. Il aurait par exemple fallu qu’une famille se dédie pour faire la cuisine pour les enfants du voisinage. Finalement, c’est ce que nous avons fait avec la cantine populaire, les gens savent qu’il y aura toujours à manger L’important c’est que tout le monde puisse se nourrir correctement, c’est la meilleure des défenses contre le virus.

Pourquoi est-ce important de travailler de manière collective ?
Parce que de cette manière les mères apprennent à partager, à être davantage solidaires les unes avec les autres. Et tout est plus facile quand on travaille en équipe. On peut essayer de faire des choses seul, mais ça ne dure pas très longtemps.

Est-ce que vous pensez que le gouvernement a joué et joue son rôle ?
Je dirais que non. Les paniers alimentaires que l’Etat nous avait promis ne sont jamais arrivés dans notre quartier. Dans d’autres endroits ils sont arrivés mais pas chez nous. Souvent, l’aide est distribuée dans des endroits où quelqu’un du quartier connait le maire du district.

Vous pensez que ce type de mobilisation comme la cantine populaire peut être un exemple pour le pays ?
Oui ça en est un car le gouvernement ne nous voit pas, c’est important de faire tout ça pour prouver qu’on existe, que nous sommes là. La faim est là, elle est présente dans nos quartiers, dans les parties hautes de nos quartiers. Et dans Lima tout entier.

Comment avez-vous connu Cenca ?
J’ai été invitée à assister à une des réunions hebdomadaires que Cenca organise avec les autres femmes, ça m’a plu. Je continue cette année d’assister à ces réunions hebdomadaires, virtuellement et je participe au projet d’agriculture urbaine. Le fait de participer à ces actions m’a beaucoup aidée au niveau de l’estime de soi. Comme femme aussi. Je me dis que je vais maintenant toujours de l’avant. Il y a dans ces réunions avec les autres femmes une forme de respect, que j’enseigne dans ma famille aussi, à mes enfants.

Que représente vivre et travailler dans Mariategui ?
Ceux qui habitent dans le centre de Lima ne savent rien de notre réalité, ici dans le quartier de Mariategui. Ils ne savent rien, eux vivent tranquillement dans le confort de leurs quartiers.

Que penses-tu de la relation entre hommes et femmes votre quartier ?
Elle est relativement bonne, par exemple certains hommes sont venus cuisiner avec nous pendant le confinement. Ils participent aux tâches ménagères.

Que serait une Lima idéale ?
Une ville dans laquelle tout le monde a les mêmes droits. Ce sera une ville géniale quand ceux qui vivent dans le centre et ceux qui vivent comme nous dans les quartiers populaires auront les mêmes droits.