Pérou : "Nous n’avons jamais pensé à fermer pendant la crise"

« La situation dans le quartier de Mariategui, où nous sommes présents, est très dure » [1] dit Davis Morante, directeur adjoint de Cenca, notre partenaire à Lima. « On parle de familles qui sont, sans la pandémie, dans une situation d’extrême pauvreté. Elles se sont organisées en lançant les ‘Casseroles pour tous’. Ce sont les femmes du quartier qui ont pris l’initiative. Elles ont commencé à cuisiner en commun ce qu’elles avaient et à le distribuer aux habitants du quartier. » Le Pérou a été un des premiers pays en Amérique du Sud à confiner sa population. Les conséquences ont été immédiates dans un pays où 70% des habitants travaillent dans le secteur informel et ont besoin de sortir de chez eux pour pouvoir vivre. C’est encore plus vrai pour les populations des quartiers populaires. Cenca s’est très vite mobilisé tant la situation devenait critique, face à des familles qui se sont retrouvées du jour au lendemain sans moyen d’acheter des produits de base et de la nourriture. « Au début, dit Davis, nous nous sommes occupés des familles en distribuant des paniers-repas, pour atteindre le plus de familles » dans des circonstances compliquées car les déplacements étaient très limités. Personne de l’équipe de Cenca ne pouvait accéder au quartier de Mariategui, sauf deux parmi tous, Davis et Abilia Ramos Alcantara, coordinatrice. Ils habitent sur place et ont organisé toute la distribution, en lien avec les différents responsables des « agrupaciones », ces comités de quartier qui quadrillent Lima.

Tout a changé d’un moment à l’autre

« Tout a changé d’un moment à l’autre, témoigne Abilia, alors que de nombreuses familles vivent au jour le jour. Elles tiennent un commerce informel ou font des ménages. Il y a beaucoup de mères célibataires. Soudain, tout a été coupé, la nourriture, la santé… » Le lien entre les habitants de Mariategui et Cenca, grâce sa forte implantation locale, a toujours été maintenu, ce qui a permis d’atténuer les conséquences d’un système social et économique très vulnérable. « Les listes des habitants susceptibles de recevoir une aide financière de l’État n’étaient pas à jour, dit Davis, et seuls 15% des foyers l’ont reçue. Au final, beaucoup de familles de Mariategui se sont retrouvées sans rien. Globalement, les autorités ne prennent pas en compte ce type de quartier. Quand on te dit : ‘Reste chez toi’, comment fais-tu dans un espace de 5 m2 ? C’est de la folie. » Le lien avec Frères des Hommes n’a jamais non plus été coupé, la présence de Marie Bouret, notre volontaire auprès de Cenca, y a été pour beaucoup. « Les volontaires présents auprès de nos différents partenaires ont joué un rôle important d’intermédiaires, ils nous rapportaient beaucoup d’informations sur l’évolution du contexte », confirme Caroline Kientz, chargée de projets chez Frères des Hommes. «  Sur l’après Covid-19 ? Il va y avoir un besoin, répond Marie, de recréer un lien humain, ça sera très important. Il faudra écouter, accompagner les habitants et mettre en place des actions correspondant aux défis de la société d’après.  » Cette alliance que Cenca développe depuis des années avec les populations est au coeur de ces défis : «  Il y a une forte proximité, dit Davis, les gens nous font confiance. Ça nous donne aussi une grande responsabilité. Nous n’avons jamais pensé à fermer Cenca pendant la crise. Ça aurait été comme une démission. »

[1L’ensemble des témoignages présents dans cet article ont été recueillis en avril et mai 2020.