Pérou/Le chemin du collectif

S’organiser en collectif est une des conditions de l’émancipation des populations vulnérables et donc au centre de nos actions. C’est dans ce cadre qu’elles peuvent prendre conscience de leur situation, briser leur isolement et sortir des rapports de domination qui les enferment. Marie (Bouret) est volontaire pour Frères des Hommes au Pérou et témoin privilégiée de l’action en collectif.

Est-ce que tu peux nous donner un exemple d’une action en collectif (dans le projet Habla Mujer) qui a permis que les femmes accompagnées par notre projet prennent conscience de leur situation sociale ?

Marie Bouret : je pense que les actions de formation dans le projet ont toujours pour objectif d’avoir une conscientisation sur une situation, sur la domination qui est vécue par les femmes. On travaille sur la nécessité de prendre conscience du machisme et du patriarcat présents dans la société péruvienne à travers des réunions, des formations organisées par Cenca. On va par différents types d’activités, parfois ludiques, qu’on appelle des « dinamicas », se poser des questions sur notre quotidien et se rendre compte de situations problématiques par rapport à la position, au rôle de la femme dans la société péruvienne. Donc les actions de formation sont des actions collectives de conscientisation. C’est une des premières étapes, il faut ensuite réfléchir à des solutions. La pédagogie de la formation, qui est utilisée par Cenca, basée sur la pédagogie de la libération de Paulo Freire, est en trois étapes : voir, juger et agir. Elle a pour but de définir une action qui peut être individuelle mais qui peut aussi être collective pour changer les rapports de domination qui sont en place.

Comment ces femmes ont-elles pu, ensemble, répondre à une certaine forme d’isolement ?

Tous les espaces de réunion de formation qui sont proposés par Cenca de manière générale et dans le cadre d’Habla Mujer créent du lien sur un territoire qui est un quartier qui s’appelle Mariategui, à Lima. Dans les derniers témoignages que nous ont donnés les femmes, elles disent que justement dans un 1er temps elles sont sorties de la sphère familiale, qui est la cellule du lien humain, des liens sociaux. Elles sont sorties aussi de la sphère « micro quartier » et elles peuvent maintenant appeler des voisines avec lequelles elles ont partagé un moment de formation ou une activité. Elles peuvent les appeler dans le sens où ce sont des personne sur lesquelles elles peuvent compter, auxquelles elles peuvent se confier ou faire quelque chose ensemble. Elle connaissant mieux les personnes qui vivent avec elles à Mariategui.


Une des "discussions" organisées tous les lundis entre les femmes du projet Habla Mujer, sur des thématiques, choisis par elles, autour de la famille ou la société.

A quelle action collective penses-tu qui a eu pour objectif et/ou pour résultat le refus de la domination sociale ?

Il y a par exemple ce système de « junta », de tontine, par lequel les femmes se mettent ensemble pendant à peu près un an pour faire des économies et pouvoir s’acheter des machines à coudre suite à une formation en couture. Car ces femmes ont peu d’accès à un prêt bancaire qui leur permettraient d’investir dans une activité économique. Elles ont peu d’accès aux ressources économiques du foyer. Très souvent l’homme prend les décisions sur comment dépenser l’argent, et ce même si les femmes nous disent participer aux dépenses du foyer. L’homme décide d’un montant journalier ou hebdomadaire que la femme va recevoir. Donc là, le fait de décider entre huit femmes de faire des économies avec pour objectif de s’acheter une machine à coudre qui va leur servir à elles, elles ont peut-être demandé à leur maris, permet en tout cas de contrebalancer les rapports de domination sur le volet économique.


Marie, debout, 4ème en partant de la gauche.