"J’ai pu gagner la confiance des paysans"

Le 17 avril 1996, des membres du Mouvement des travailleurs sans terre (MST) sont abattus par la police militaire de l’État du Pará, au Brésil. Depuis, le 17 avril est déclarée « Journée internationale des luttes paysannes ». Nous avons interrogé Sarah Hopsort, volontaire de Frères des Hommes auprès du Mouvement paysan Papaye et immergée pendant 6 ans dans la défense et le développement des paysans haïtiens. [Partie 2].

Est-ce que tu as pu être témoin d’un changement social parmi les paysans ?
J’ai commencé à voir des débuts de changement. J’ai par exemple suivi une personne qui s’est formée pendant 10 mois à l’agroécologie et que je retrouve dans le projet actuel en tant que responsable communautaire, capable d’animer tout un groupe avec différents acteurs locaux. Là tu vois la transformation sociale, elle passe par l’humain. A partir du moment où tu peux accompagner des gens sur un temps long, tu vois la façon dont ils se voient renforcés eux. Tu vois la manière avec laquelle ils prennent ils prennent place sur leur territoire

Pourquoi se concentrer sur la protection de l’environnement ?
En Haïti aujourd’hui, il n’y a pas de développement économique, de développement agricole et donc de souveraineté alimentaire sans passer pas des actions fortes de protection de l’environnement. Il est la ressource fondamentale des paysans mais son état est très dégradé. Donc accompagner des populations en milieu rural, cela passe obligatoirement par des actions de protection des ressources naturelles. Leur moyen de vie dépend de l’environnement et de sa préservation. Après, ces actions ont des impacts sur un temps long, les défis sont énormes, un paysan seul ne peut pas s’attaquer à un phénomène aussi lourd. Donc proposer de travailler ensemble, avec des acteurs locaux, prend sens.

De quoi es-tu la plus fière ?
D’avoir pu gagner la confiance des acteurs, des paysans. C’est quelques chose font je suis très heureuse et fière. J’ai passé beaucoup de temps avec certains groupes de femmes du MPP, pas très loin de chez moi. J’ai beaucoup appris à leur côté, elles m’ont permis une prise de conscience sur ma condition de jeune, femme, noire. Après je suis aussi fier des comités citoyens, que nous avons pensés et construits. Nous voulions permettre à des gens qui ne travaillent pas ensemble de se parler et de réaliser leur rôle dans le développement du pays.

Après une première expérience avec le MPP, tu es revenue, d’où vient ton attachement à cette organisation ?
Moi ce qui m’intéresse c’est comment on peut changer les choses. Après la fin du 1er projet, j’ai repris des études, je me suis formé à la réalisation de documentaires pour être capable de bien recueillir des récits de vie. Je suis revenue car les gens me font confiance et m’acceptent telle que je suis. J’ai pu continuer à apprendre avec les gens et comprendre.

Le Haut plateau central est une région assez peu connue, un peu à part, est ce que tu peux nous la décrire ?
C’est un département du centre de l’île, que se partagent la République dominicaine et Haïti. C’est une région montagneuse, assez diverse, avec des plateaux secs, des grands bassins. Jusqu’en 2012, il n’y avait pas de route en goudron entre Hinche (la ville principale) et Port-au-Prince, il fallait une journée de trajet entre les deux. Ça n’est pas une région très touristique car sans accès à la mer. Enfin, c’est là où se trouve le siège MPP, qui est un mouvement paysan qui s’est toujours opposé aux dictatures, et dont se méfie un peu le pouvoir.

Comment décrirais-tu le lien entre le MPP et FDH ?
C’est le « vouloir agir » qui décrit ce lien. Les deux partenaires se renforcent mutuellement, notamment sur le rôle de la formation. C’est une curiosité et une bienveillance réciproque.

Un moment qui t’a marquée ?
Nous étions dans une assemblée avec des paysans, c’est moi qui animais. On a complètement dépassé l’horaire, les gens ne voulaient pas partir, ils s’étaient complétement appropriés le thème de la réunion. Je me disais qu’on était dans le juste, on a dialogué 4h sur leurs problématiques, qui les animaient vraiment. C’était comme un « micro évènement », avec des « mini » prises de conscience. Et c’est là où je me suis rendue compte qu’animer une réunion peut être très important.

Si Haïti était un plat de cuisine ?
Ce serait le dokounu, un plat traditionnel à base de maïs moulu concassé avec du lait et enrobé dans des feuilles de bananier. C’est un plat qui vient du Bénin. Mais on voit que le lien aux racines africaines s’effrite car il est de moins en moins consommé. Beaucoup de jeunes ne le connaissent pas. Il est succulent, et à l’image du pays, tu ne sais pas trop comment il est fait mais il est très beau, vert.

Si Haïti était un son ?
Le son des tambours. Dans la zone rurale où j’habitais, très souvent il y avait une fête religieuse vaudou et tu entendais le son de ces tambours tard dans la nuit. C’est pour moi un son associé à la nuit et aux racines africaines du pays. Le deuxième son ce serait les oiseaux. J’ai découvert la beauté des chants des oiseaux là-bas, qui sont tout le temps présents.