[Inde] L’accompagnement des travailleurs et travailleuses du secteur informel par Fedina

Fedina travaille à l’organisation collective des travailleurs et travailleuses indiennes du secteur informel. L’objectif est d’accompagner et défendre les populations marginalisées (Dalits (intouchables), femmes, populations tribales, travailleurs du secteur informel) en faisant valoir leurs droits. Ensemble, Frères des Hommes et Fedina accompagnent l’équipe de Fedina sur la posture du formateur·trice via les principes et techniques d’animation de l’éducation populaire pour renforcer le pouvoir d’agir des populations. Pour illustrer cette action, nous vous présentons le témoignage de Claire, responsable des formations chez Frères des Hommes suite à sa récente mission en Inde avec Fedina.

Frères des Hommes travaille avec Fedina (Foundation for Educational Innovations in Asia) depuis de nombreuses années sur les questions d’accompagnement des populations marginalisées (Dalits (intouchables), femmes, populations tribales, travailleurs du secteur informel). Afin que ces travailleurs et travailleuses finissent s’organisent collectivement pour faire valoir leurs droits, il est nécessaire de s’adapter d’abord à leurs contraintes de vie, pour premièrement créer un espace de libération de la parole. Cela permet d’aborder les questions de faire alliance sans reproduire des rapports de domination en conscientisant les populations sur des questions sociétales via leurs propres vécus, mais aussi leurs propres biais cognitifs. La thématique de la légitimité se tisse comme fil rouge d’atelier en atelier pendant lesquels Fedina sème des graines de prise de conscience et de pouvoir d’agir chez ses populations.


Le cadrage des objectifs et des enjeux de la mission


©Frères des Hommes - Équipe de Fedina

« Dans le cadre du projet, la stratégie de formation est de démultiplier par la suite, des modules que l’équipe de Fedina a déjà commencé à tester. L’objectif est qu’il y ait tout une équipe de formateurs et formatrices qui puissent accompagner au moins 25 groupes de femmes. Donc il y a vraiment un enjeu de former d’autres personnes à l’animation de ces formations. »

Plusieurs thématiques à aborder ont été identifiées. Celles-ci se traduisent sous la forme de petits modules d’une heure, pour notamment s’adapter aux disponibilités des femmes qui doivent cumuler plusieurs emplois, en plus des tâches domestiques.

6 thématiques ont été retenues pour les formations :

  • D’un point de vue personnel : « tout ce qui est empathie, être capable de se positionner les unes par rapport aux autres. »
  • Un temps dédié à l’histoire des femmes réformistes  : « qui fait le tour des grandes figures du féminisme en Inde, pour se rendre compte que des femmes ont agi. »
  • Une thématique sur le système des castes : « pour savoir ce que ça produit pour elles, dans leurs expériences… Puis sur ce que produit le fonctionnement patriarcal sur l’habillement des femmes. »
  • A propos de la vie professionnelle : « on va travailler sur le travail nonrémunéré, donc le travail domestique, ainsi que les informations à connaître sur la réforme du code du travail à propos du travail formel. »


©Frères des Hommes - Illustration d’un des ateliers

« Ce sont donc des thématiques très variées et l’enjeu est d’une part de travailler avec l’équipe centrale de Fedina sur une cohérence d’ensemble pour que tout aille dans un sens général qui permette aux femmes qui vont être formées d’utiliser ces réflexions, ces nouvelles compétences et connaissances pour leur empowerment individuel et collectif, et également à former les animateurs·trices à animer ces petites sessions de formation. L’idée c’est toujours de partir de l’expérience des femmes elles-mêmes et en même temps d’en faire quelque chose qui transforme leur rapport à ces sujets. »

Partir de l’expérience personnelle des personnes formées


©Frères des Hommes - Illustration d’un des ateliers

Historiquement tourné vers l’innovation pédagogique, Fedina partage les mêmes valeurs et la même vision que Frères des Hommes quand il s’agit d’ éducation populaire ou de formation d’adultes.

« Ce n’est pas de la formation descendante ni de la transmission de contenus, il peut y en avoir mais on part d’abord de leur expérience, de leur expertise. Qu’est-ce qu’elles savent du système de caste dans lequel elles sont prises, de ce que ça produit pour elles dans leur expérience etc. Et c’est en mettant en commun ces expériences que l’on peut voir ce que cela produit au niveau collectif et comment on peut agir dessus. C’est un peu ça l’éducation populaire. C’est aussi ça qu’on essaie de transmettre aux futurs formateurs et formatrices : la posture de formateur dans ce genre de dispositif. Le formateur est là pour animer un espace où les gens vont pouvoir prendre conscience et partager leurs expériences. Il y a donc tout un travail du formateur qui n’est pas neutre : ce n’est pas venir avec des savoirs à délivrer, mais créer l’espace qui permet aux gens de prendre conscience des savoirs qu’ils ont déjà et éventuellement de compléter les choses. C’est pour ça qu’aucune formation ne sera la même qu’une autre. »


©Frères des Hommes lors d’une récente mission chez Fedina

Quelle importance donne Fedina à l’expérience personnelle et professionnelle des personnes qui sont accompagnées ?
« Fedina se base sur des approches qui s’appuient sur le savoir et l’expérience des personnes concernées. Dans les premières rencontres avec les groupes que les animateurs et animatrices de Fedina accompagnent, les échanges portent sur les expériences personnelles et de les savoirs des personnes pour comprendre ce qu’elles vivent, voir ce qu’elles auraient envie de changer et les aider à s’organiser collectivement. Par exemple, si on prend le cas des travailleur-se-s domestiques, ça va être de partir de situations qui sont vécues comme injustes ou anormales, et montrer que si on est à plusieurs pour s’organiser, pour éventuellement aller faire des recours auprès des autorités ou discuter avec les employeurs, on peut faire valoir ses droits. C’est aussi tout un travail sur l’identité des personnes concernées, c’est-à-dire ne plus simplement s’identifier à une personne de base caste ou hors caste, qui du coup, va intérioriser le fait qu’il est normal d’être traité de manière discriminatoire, mais plutôt de s’identifier comme une travailleuse avec des droits. A partir du moment où on est une travailleuse avec des droits, on peut revendiquer leur application. »

Jusqu’à présent, as-tu noté des changements concrets dans l’organisation des collectifs et les actions pensées ou mises en place à destination des employeurs ? Aurais-tu des exemples à nous donner ?
« Il faut rappeler qu’on est qu’au début du projet qui a démarré en janvier 2023 et que nos actions s’inscrivent dans des processus longs. Fedina travaille depuis plus de 20 ans dans ces domaines, donc oui il y a des choses qui bougent, mais à continuellement porter quand même. Certaines choses évoluent, notamment dans la capacité des travailleur-se-s à faire valoir leurs droits. Après je ne peux pas vraiment parler de changements dans le cadre du projet pour le moment. »

En règle générale, comment les actions de Fedina sont accueillies par les populations accompagnées ? Y a-t-il une confiance à gagner ?

« Comme toute action où on accompagne des publics vulnérables à se structurer collectivement, la question de la confiance est très importante. Fedina mène des actions avec ces personnes depuis longtemps, donc cette confiance a su déjà se tisser depuis. Les actions sont en général bien accueillies cependant le gros challenge c’est la disponibilité des participant-e-s, puisque ce sont des travailleur-se-s qui ont des niveaux de vie extrêmement précaires, qui parfois cumulent plusieurs emplois et pour les femmes qui ont également la charge du travail domestique dans leur propre foyer, car les tâches sont extrêmement inégalement réparties, c’est notamment un enjeu sur lequel Fedina travaille également pour essayer de faire bouger les choses dans la sphère privée. »


Ce projet avec Fedina est un travail de longue haleine dont les effets s’inscrivent dans la durée.
Nous remercions Claire d’avoir partagé le montage des premières pierre de cet édifice en cours de construction avec Fedina.

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