"Ce que nous faisons, nous le faisons avec et pour les paysans haïtiens"

Malgré la crise sanitaire, le Mouvement paysan Papaye n’a pas fermé. Il continue (avec toutes les précautions) ses actions aux côtés des paysans du Haut plateau central haïtien, face à un État complètement absent. Mulaire Michel de la direction du mouvement nous raconte.

On a vu que la famine commençait à toucher certaines zones du pays.

Oui, car la vie devient très chère dans le pays. L’inflation est à 22,5%, 1kg d’haricots coûte plus de 215 gourdes (le salaire moyen en Haïti est de 7000 gourdes NDLA), quand vous avez une famille de 4 à 5 enfants, ça n’est pas facile. Plus aucun produit ne vient de la République dominicaine et la production nationale a considérablement diminué. On ne trouve presque plus rien au marché. Ce que mange le paysan aujourd’hui, il le puise dans sa réserve, qui a presque disparu. C’est généralisé à tout le pays, même les manguiers sont vides, il n’y a pas d’avocats, le débit des sources et des rivières est considérablement diminué et pour la plupart elles sont à sec.

Les paysans n’ont pas commencé leur campagne agricole ?

C’est compliqué avec cette campagne de printemps car les terres sont prêtes mais ils ne peuvent pas planter, non seulement à cause de la sécheresse prolongée mais aussi de la cherté des semences et des outils pour le travail du sol. Le manque de pluie est un gros problème et le lac de Péligre qui nous fournit de l’électricité est par exemple presque à sec.

Comment font-ils pour faire face à la fois à la sécheresse et au virus ?

Les paysans se débrouillent comme ils le peuvent, mais par exemple comment faire pour se laver les mains s’il n’y a pas d’eau. Quand je vais sur le terrain, je fais ce travail de sensibilisation sur les gestes barrière mais je vois qu’ils sont dans des difficultés énormes, ils ne savent pas vers qui se tourner. Les autorités ne disent rien et les paysans sont complètement livrés à eux-mêmes. Le MPP a pris la décision de continuer ses activités avec des réunions réduites et en prenant toutes les précautions. Le siège est toujours ouvert, nous sommes là au quotidien, les animateurs continuent à travailler avec les paysans. On priorise la sensibilisation liée à la pandémie. Nous avons distribué des kits sanitaires à 50 familles les plus vulnérables par section communale . Si on avait fermé, vers qui les paysans pourraient-ils se tourner ?

Quel est votre travail de sensibilisation ?

Nous utilisons beaucoup notre radio Voix Paysan. Nous avons aussi monté des cellules de sensibilisation au niveau des sections communales. Nous enregistrons des spots qui sont diffusés et expliqués sur le terrain par les animateurs de ces cellules à l’aide d’un appareil de radio que le MPP a distribué. Nous avons aussi produit un dépliant sur les gestes barrière et avons produit un peu plus de 2 500 masques, que nous avons donnés à nos animateurs, nos personnels administratifs et aux paysans.

Comment réagissent les paysans à la crise ?

Ils ont du mal à croire que la maladie existe vraiment. Il faut rappeler que celle-ci a été annoncée par Jovenel Moïse, le président, que la population en général prend pour un menteur, pas seulement les paysans. Ils n’ont pas confiance, encore maintenant ils ne croient pas que cette maladie existe, pourtant les chiffres augmentent de jour en jour. La crise n’a pas changé le cours de la vie des paysans, ils vont quand même au marché se procurer des produits de première nécessité ou de quoi se nourrir. Mais c’est vrai que leur pouvoir d’achat a beaucoup diminué. Le gouvernement sensibilise, il a annoncé avoir acheté des masques pour la population mais elle ne voit rien venir. Nous avons rencontré les autorités sanitaires de Hinche, on les a questionnées là-dessus. Ils nous ont dit que tout était géré au niveau central. On voit dans les journaux que le Covid est en train de progresser dans le pays, mais on ne voit pas le gouvernement agir.

En quoi les conséquences de la crise sanitaire sont renforcées par le système actuel ?

Par exemple, les infrastructures sanitaires n’existent quasiment pas en Haïti. Nous avons un sentiment de révolte par rapport à la manière dont le gouvernement gère la crise. L’argent est en train d’être gaspillé, on ne voit pas les masques arriver, les hôpitaux sont dans un très mauvais état. 18 millions de dollars ont été dépensés dans l’achat de matériel médical en Chine, où est ce matériel ? La population n’a pas d’informations. Des médecins sont infectés par manque de protection, pourtant à Port au Prince l’hôpital central est à côté du palais national. L’hôpital Sainte Thérèse de Hinche n’a reçu aucun matériel du gouvernement. Il ne s’occupe pas de la population du pays. Il y a aussi eu des attitudes assez critiquables de la part de pays dits amis notamment des Etats-Unis qui ont expulsé vers Haïti des migrants en sachant qu’ils étaient atteints du Covid. En République dominicaine, la frontière est fermée mais des gens arrivent à traverser et s’évanouissent dans la nature.

Comment vois-tu cette période de l’après Covid ?

Ça peut être une opportunité de repenser la façon dont l’Homme gère la nature, c’est une occasion de repenser notre système mondial. En Haïti ou ailleurs c’est aussi l’occasion de repenser le système sanitaire. La société civile doit faire pression sur ces autorités, qui doivent définir des plans adaptés au pays et à la population.

On a vu que le système mondial actuel était extrêmement faible, comment répondre à cette faiblesse ?

En se focalisant sur notre réalité nationale. On doit être autonome, par exemple 60% de ce que nous consommons en Haïti vient de l’étranger. Le Covid doit nous faire réfléchir sur la question de la souveraineté alimentaire, les mouvements sociaux haïtiens doivent faire pression pour un programme de développement interne durable de notre pays.

Comment inclure les populations les plus vulnérables dans cette réponse ?

Il faut les inclure dans la définition d’un plan de développement qui correspond à la réalité de notre peuple. Il faut les valoriser, les accompagner à s’organiser pour préparer un plan de sauvetage national.

Il y a une forte proximité entre le MPP et les paysans, est ce qu’on peut y voir une forme d’alliance ?

L’alliance elle est là, elle existe de façon naturelle. Tous les membres de notre équipe, que ce soit la direction, les salariés, viennent du monde paysan. Ce que nous faisons, nous le faisons avec et pour les paysans haïtiens. Ils ont confiance dans le MPP car nous défendons leurs droits et leurs intérêts.

En quoi cette alliance est importante dans la construction d’une société juste et durable ?

On ne peut au niveau du MPP changer seuls la société, il faut la combinaison de plusieurs forces. C’est quelque chose qu’on construit, ça ne tombe pas du ciel.

Quelles vont être les prochaines actions du MPP ?

Nous allons continuer à sensibiliser les paysans sur les consignes à respecter face à la pandémie. Eux doivent aussi continuer à vivre, il faut lancer la campagne agricole, on les encourage à se lancer dans la production, même si les moyens sont limités. C’est d’ailleurs ce que nous avions prévu avant la crise sanitaire dans le projet mené avec Frères des Hommes.