Rwanda et Sénégal/le chemin du collectif

S’organiser en collectif est une des conditions de l’émancipation des populations vulnérables et donc au centre de nos actions. C’est dans ce cadre qu’elles peuvent prendre conscience de leur situation, briser leur isolement et sortir des rapports de domination qui les enferment. Jovana Bedoya et Marie-Pierre Djekou sont volontaires pour Frères des Hommes au Rwanda et au Sénégal et témoins privilégiés de l’action en collectif.

Est-ce que vous pouvez nous donner un exemple d’une action qui a permis aux paysans accompagnés par notre action de prendre conscience de leur situation sociale et de rompre leur isolement ?

Jovana Bedoya  : Duhamic-Adri et Adenya, les deux organisations rwandaises du projet, ont formé les paysans de manière individuelle aux techniques d’élevage et les ont sensibilisés à l’action en collectif. Il y a derrière ces formations, une stratégie qui est basée sur une approche très participative. Les paysans ont un vécu, une expérience, ils ont des idées qui peuvent être valorisées. Nous organisons des scénettes, des jeux de rôle, lors des formations, qui les amènent à leur tour à être formateur. Ce sont des postures auxquelles ils ne sont pas forcément habitués. Au Rwanda, les paysans prennent peu la parole. Dans certains groupements, on trouve des « leaders » qui vont s’exprimer mais le reste du groupe ne va pas du tout bouger. Le fait d’être dans une formation où tout le monde prend la parole, et valorise ce qu’il sait et le met en pratique, c’est une manière de valoriser leurs compétences. Le fait d’être ensemble leur montre qu’ils peuvent faire plus que s’ils étaient isolés. D’une manière très pratique, c’est plus facile d’être ensemble pour prendre la parole devant les autorités locales et pouvoir réclamer ses droits. Ça leur permet d’un autre côté de se valoriser comme paysan, d’avoir une autre posture que celle du paysan victime de la pauvreté. On crée du lien à travers les formations, à travers les activités autour de la formation.


Paysans rwandais, accompagnés par Adenya et Duhamic-Adri.

Marie-Pierre Djekou  : Il y a quelques mois, l’UGPM (l’organisation sénégalaise auprès de laquelle je travaille) a mis en place une formation pour les groupements paysans sur les rapports de domination, pour d’abord faire un diagnostic de leur situation et révéler des rapports de domination, s’il y en a. L’idée était de mettre en avant les conséquences que cette domination peut avoir sur le fonctionnement du groupement, sur la façon dont elle entrave la transparence et la démocratie dans le groupement. Dans un 2ème temps, les paysans ont débattu sur les moyens pour faire face à ces rapports de domination, aux blocages au sein du groupe. L’UGPM en fait un bilan. Ce qui ressort concernant les rapports de domination est lié aux questions de genre, d’âge, de statut dans le groupement, de la place du président par exemple qui prend les décisions car les autres lui laissent cette capacité de décision. Ce sont des choses auxquelles les groupements ne pensaient pas au premier abord, mais les animateurs les ont un peu poussés, ils leur disaient : « Vous voyez ? Vous n’osez pas vous exprimer pendant les réunions car vous vous dites qu’untel est plus âgé que vous, que ce sont vos parents, que vous ne voulez pas les contredire mais c’est un problème dans le fond pour le fonctionnement du groupement. L’idée du groupement est que tout le monde s’exprime. Ça, vous pouvez le faire sans forcément contredire la personne mais vous pouvez le dire avec respect, en discutant ». Les paysans ont proposé des pistes pour permettre d’atténuer ces relations de domination, notamment une sorte de règlement intérieur ou alors le fait de faire de petits groupes au lieu de se rassembler en grosses assemblées, plein de choses sont ressorties.


Animateurs de l’UGPM, pendant une formation.