RDC : « la formation est un vrai moyen de transformation sociale »

Parti pour un an, Thomas Brigatti a finalement passé 5 années comme volontaire de Frères des Hommes en RDC et au Rwanda. Découverte de deux pays et la confirmation que la formation des populations en situations de vulnérabilités est un vrai moyen de transformation sociale.

Quelle est la première chose qui t’a marqué à ton arrivée à Bukavu ?

Le lac Kivu. J’avais déjà vécu une année en Guinée-Conakry, mais là avec ce lac, énorme, on change d’échelle. La RDC est le second pays le plus grand d’Afrique, c’est le pays de la démesure. La ville de Bukavu (où est basée l’APEF, le partenaire de Frères des Hommes) est très vivante, il y a beaucoup beaucoup de musique. Les gens s’expriment, parlent, discutent entre eux. Ça j’ai beaucoup apprécié. Tout est assez exacerbé, les couleurs, les sons, les odeurs…

Que peut-on dire de la région du Sud Kivu ?

Il y a un gros manque d’infrastructures de base : route, électricité, eau. Dans Bukavu, qui est quand même le chef-lieu de la Province on peut rester plusieurs semaines sans eau, ni électricité. Il y a un gros manque, avec toutes les conséquences que ça peut avoir. Après il y a une insécurité ambiante, avec un certain nombre de faits divers. Et ceux qui sont censés faire respecter la loi sont parfois ceux qui l’enfreignent.

Comment ont été les premiers mois ?

Je me suis adapté assez vite. Les 6 premiers mois, tu trouves tes marques, tu gères ton nouvel environnement. Sur le plan professionnel, j’ai été très bien intégré dans l’équipe. Après cela dépend de ton attitude, la simplicité, l’humilité est appréciée. Je représentais Frères des Hommes, partenaire historique de l’APEF et j’avais aussi la casquette « volontaire ». Quand je suis arrivé, j’avais 13 ans d’expérience, avec une manière de faire. Au début je suis peut être allé trop vite. Surtout que j’étais venu au début pour un an. Il a fallu déconstruire cette manière de faire pour intégrer celle de Frères des Hommes. On a construit à trois, Frères des Hommes, l’APEF et moi... et les résultats ont été bons !

Quels sont ces résultats dont tu parles ?

Avoir développé un centre de formation plus organisé, des formations de qualité et plus importantes, des « apprenantes » qui abandonnent moins… Les formatrices aussi ont ce point de vue. On a construit ensemble avec des regards croisés. Il y a eu une nouvelle manière de faire à l’APEF. On parle par exemple beaucoup plus de transformation sociale. Il faut du temps, le fait d’être resté plusieurs années a joué, j’ai vu les choses évoluer. Il faut un temps d’infusion. Mais j’ai clairement vu des résultats qui eux contribuent à la transformation sociale. Il faut faire attention à comment on accompagne ce processus de transformation, car il chamboule pas mal de choses dans la tête des gens. Mes missions ont évolué, je devais au début accompagner le renforcement des capacités du centre de formation et travailler sur le contenu et les supports de formation. Des choses nouvelles ont émergé, notamment l’accompagnement post-formation qu’il a fallu mettre en place. J’ai aussi contribué à des questions plus organisationnelles.

Tu as du quitter la RDC pour le Rwanda, pourquoi ?

La 1ère fois, à cause du contexte électoral en RDC et des questions sécuritaires. J’ai décidé de rester au Rwanda car j’habitais à la frontière très près de Bukavu et de l’APEF. Ensuite, à cause de l’épidémie d’Ebola, je ne pouvais plus me rendre en RDC. J’ai rejoint Butaré dans le sud du Rwanda où je continuais à suivre le projet avec l’APEF. J’ai aussi commencé à m’impliquer sur le projet que mènent là-bas Duhamic-Adri et Adenya, les partenaires de Frères des Hommes. Depuis le mois de mars, je suis à temps plein sur ce projet. Il était quand même prévu que je travaille sur la stratégie organisationnelle de l’APEF mais le Covid a empêché cela.

Tu passes d’un milieu urbain à un milieu très rural, quel est l’enjeu du projet au Rwanda ?

Ce sont des paysans avec de petites parcelles, qui sont divisées à chaque héritage. Les petites parcelles demandent plus de productivité, donc plus d’intrants chimiques, c’est la politique de l’Etat, mais pas celle du projet qui promeut une approche agro écologique. C’est un vrai enjeu.

Quelle influence a l’action de Duhamic-Adri et Adenya sur la vie des paysans ?

Il en a déjà sur l’équipe du projet, car c’est un projet « apprenant » où on parle, on discute. L’équipe se renforce elle-même car elle construit le projet au fur et à mesure entre ses membres. Ensuite au niveau des paysans, on voit moins de personnes isolées, le lien social se créé, véritablement. Le fait de renforcer les paysans aussi dans certains domaines fait qu’ils vont avoir plus confiance en eux et refléter cette estime d’eux mêmes vis-à-vis des autres paysans. Là aussi le lien social se créé.

Quelle est l’importance de la formation dans la transformation sociale ?

C’est une vecteur réel de transformation sociale car c’est un moyen de rendre possible l’émancipation. Mais ça n’est qu’un moyen. Tu peux former des gens mais il n’y aura pas forcément tout de suite d’impact social. Celui qui est formé prend conscience de son environnement. Dans former il y a aussi le côté conscientisation. Globalement la formation met en condition car l’émancipation est un parcours, ça ne vient pas de suite.

Un moment que tu retiens pendant ces années de volontariat ?

Les moments dans le centre de formation de l’APEF de remise de diplôme où tu ressens la fierté, leur joie des femmes qui ont été formées. Certains maris osaient prendre leur épouse dans les bras et c’est quelque chose qui ne se fait habituellement pas en public.

Une personne ou un groupe de personnes qui t’a marqué, au Rwanda et en RDC ?

Je pense à une ancienne apprenante, mère célibataire de 5 enfants, répudiée par son mari et qui se démenait pour donner la meilleure chance à ses enfants. Son cas était assez symbolique. Nunu Salufa, la directrice de l’APEF m’a aussi beaucoup marqué par son engagement et sa détermination dans la lutte pour l’égalité-femmes/hommes.

Si la RDC était un son ?

Des voix en polyphonie, la rumba congolaise ou le son de la batterie qui est très caractéristique dans la musique là-bas.