RDC : « On s’est dit à ce moment qu’on formait vraiment un tout »

La crise sanitaire a brutalement interrompu le travail de l’APEF, notre partenaire dans la ville de Bukavu, à l’est de l’immense République démocratique du Congo. Nunu Salufa, sa directrice, nous a raconté comment ils ont fait face à cette nouvelle réalité et comment la notion d’alliance a joué un rôle très fort.

Comment ont été touchées les populations les plus vulnérables ?

La province du Sud-Kivu a enregistré ses premiers cas le 29 mars 2020. Officiellement 4 personnes ont été infectées, ici à Bukavu. On pense que beaucoup d’autres le sont mais les gens ont peur de se présenter au test de dépistage. On ne sait donc pas vraiment qui est malade. Ici les plus affectées sont les femmes. Ce sont elles qui sont debout, qui apportent à manger à la maison. Elles vivent au jour le jour, tout en se disant : on me demande de rester à la maison et en plus les marchés sont fermés. C’était difficile pour elles. Elles sortaient quand même. Il y avait une forme de tolérance de la part de la police car ces femmes ne pouvaient simplement pas ne pas sortir. Ils pouvaient leur infliger des amendes mais personne ne peut les payer de toute façon. Après, de manière générale, même si tout le monde comprend la réalité de la pandémie, il existe ce sentiment que ça n’est pas une maladie qui vient de chez-nous mais de l’étranger.

Quelle est la situation à Bukavu (longtemps mise en quarantaine), alors que la frontière avec le Rwanda reste fermée ?

La question de l’inflation, le coût des produits de première nécessité et des produits alimentaires nous préoccupe beaucoup, tout augmente. Peu de personnes peuvent faire venir des produits de l’extérieur, il faut avoir des contacts avec des fournisseurs au Rwanda pour cela. A un moment, toutes les importations depuis le Nord-Kivu ont aussi été stoppées, nous n’avions accès à aucun produit de la région. Nous n’arrivons même pas à comprendre comment l’inflation peut être aussi forte. Le taux de change nous est défavorable (le franc congolais et le dollar américain circulent dans le pays, NDLA). C’est vrai que le gouvernement insiste sur le respect du taux fixé par le Ministère de l’économie, dans la vie courante nous vivons d’autres réalités.

Est-ce que pour toi le gouvernement a fait son travail ?

Si l’Etat faisait son travail, la situation ne serait pas celle que nous connaissons. Si vous insistez pour que la population porte des masques, donnez-lui les moyens de porter des masques. Les gens préfèrent dépenser 500 francs pour s’acheter à manger que pour acheter des masques. On demande aux gens de se confiner alors que ces gens n’ont rien. Même certains fonctionnaires ne touchent pas leur salaire, comment font-ils pour vivre ? Nous sentons aussi beaucoup d’insécurité dans certains quartiers. Quand il y a des problèmes, il y a toujours quelqu’un pour en profiter. Il arrive que des groupes armés viennent perturber un marché en pleine journée.

Est-ce que les conséquences de la crise actuelle ont été aggravées par le système social et politique actuel ?

Je vois ce qui se passe en RDC, depuis longtemps. On ne s’occupe pas du social, l’approvisionnement en eau ou en électricité a toujours été compliqué. Quand on vous demande de vous laver les mains, on doit le faire avec quoi ? Il n’y a pas de vraie politique gouvernementale. La question de la corruption est très présente aussi. On l’a vu récemment, l’ancien directeur de cabinet du président a été poursuivi pour le détournement de 46 millions d’euros. Il a été ciblé lui mais en réalité beaucoup de gens sont concernés.

Comment vois-tu la période de l’après coronavirus ?

Quand on connait la manière dont le pays était géré avant le Covid, je ne peux m’empêcher de penser que l’après sera très compliqué. Il y a la question de l’inflation, celle de l’insécurité avec des poches de résistance tenues par les milices. Qu’envisage le gouvernement ? Il faut se préparer à trouver des solutions, en allant surtout du côté des femmes. Quand je regarde ce qu’elles font, je me dis qu’elles vont loin, elles prennent des initiatives, comme les femmes de l’APEF. Je pense qu’elles peuvent relever de grands défis pour le pays.

La crise a montré que le système au niveau mondial était très fragile, comment peut-on y répondre ?

La question fondamentale est de réfléchir à comment introduire la question de la solidarité au niveau mondial. Comment peut-on s’entraider à un niveau international ? Comment se mettre ensemble ? La crise a touché l’Europe beaucoup plus que l’Afrique, une Europe qui nous soutenait. Quels sont les mécanismes à mettre en place pour que l’Afrique ne subisse pas de manière violente les conséquences d’une crise au niveau européen ? Je prends l’exemple de l’agriculture au niveau de l’APEF. Nous avons encouragé les femmes et les jeunes dans ce secteur à continuer de produire, car au niveau de Bukavu 75% des produits sont importés, riz, farine etc…La terre est fertile, il faut encourager l’agriculture locale et que l’Etat puisse soutenir cette démarche.

Comment peut-on inclure les populations vulnérables dans cette réponse ?

Elles doivent pouvoir prendre conscience de leur pouvoir et se voir comme des acteurs de la transformation sociale.

On le voit avec l’APEF, il y a une grande proximité entre votre organisation et les femmes que vous formez, peut-on parler d’alliance ?

Oui, il existe une véritable alliance. Comme je disais, pendant la crise, les femmes que nous avions formées se demandaient ce qu’elles pouvaient faire. L’APEF possède un centre de formation, ces femmes ont les compétences. Elles sont venues ici, on les a accompagnées. On s’est dit à ce moment qu’on formait vraiment un tout. Une commande de 20 000 masques est venue du Syndicat des entreprises du Congo. Toute l’équipe de l’APEF était là et restait tard la nuit avec elles. C’est une dynamique qui a permis de générer un peu de revenus pour ces femmes. Dans ce contexte, c’est inespéré, car personne ne va penser à aller se faire fabriquer un habit sur mesure. Avoir des clients est compliqué. Toutes ces femmes qui se sont retrouvées ont aussi eu l’idée de se rassembler dans une association dédiée à la couture. On devient tous des actrices du changement, on change nos habitudes. L’alliance avec ces femmes se porte bien, elles tissent aussi des liens aussi avec leurs propres quartiers.

Pourquoi s’allier peut conduire à une société plus juste, plus durable ?

Quand on est allié, on est fort, on peut proposer quelque chose. Quand je vois que d’autres femmes ont une même vision, nous pourrons même convaincre certains hommes. Nous serons dans une chaine de solidarité, la justice sociale pourra être possible. On a un même idéal, une même conviction.

Les perspectives pour l’APEF ?

Nous travaillons en ce moment sur la sensibilisation autour des mesures de prévention du virus. Toute notre équipe de 12 animateurs est auprès de la population pour cela. Elle montre comment mettre en place les gestes barrière. Mais jamais nous n’allons au-delà de 15 personnes et toujours en plein air.