« Nous sommes invisibles au regard de l’État péruvien »

Abilia Ramos Alcantara est une des animatrices de notre projet Habla Mujer (Parole de femme) à Lima. Elle est surtout habitante du quartier de Mariategui où intervient Cenca notre partenaire, une des zones les plus touchées par la crise sanitaire. Elle témoigne des conséquences immédiates et profondes de la propagation du Covid19.

Quelle est la situation actuelle à Mariategui pour les femmes avec lesquelles vous travaillez ?

Si avant le confinement, la situation était compliquée, aujourd’hui elle est devenue encore plus pénible. Tout a changé d’un moment à l’autre alors que de nombreuses familles vivent au jour le jour. Soit elles tiennent un commerce informel ou font des ménages. La plupart sont des mères célibataires. Soudain, tout a été coupé, la nourriture, la santé… et les cours virtuels ont commencé pour les enfants. Or, il faut acheter des fournitures scolaires pour faire les devoirs. Aucune subvention, aucune aide publique n’a été donnée, nous sommes invisibles au regard de l’État. Il a aussi fallu dans les familles gérer les violences physiques, psychologiques et économiques des hommes. Bien que les conjoints soient à la maison, beaucoup d’entre eux sont indifférents aux besoins de leur famille.

Quelles sont les conséquences pour les activités menées par CENCA ?

L’ensemble de la population s’organise pour répondre à ses besoins urgents. C’est donc nous qui nous adaptons en proposant de l’aide alimentaire. On réfléchit aussi à un système de dons pour des jardins partagés ou des produits d’hygiène ou un système de volontariat pour le soutien scolaire, psychologique. Les formations que nous menons habituellement seront peut-être aussi adaptées au format virtuel.

Comment imaginez-vous les activités de CENCA dans le futur ?

Cenca devra s’adapter pour travailler avec les groupes que nous accompagnions avant la crise. Il faudra surtout respecter leurs besoins de base. Qu’on le veuille ou non, les cas de Covid vont progresser. Les familles avec lesquelles nous travaillons sont beaucoup plus susceptibles d’être infectées car elles vivent dans des habitations étroites, parfois à 8 personnes ou plus. Par nécessité, ils sortiront pour chercher du travail et d’autres reprendront leurs activités. Les hôpitaux seront pleins, l’avenir sera très incertain pour les plus vulnérables.

Quelle sera la situation des femmes de Mariategui à ton avis dans quelques mois ? Quels seront les besoins ?

Le premier besoin est d’ordre économique, il faut pouvoir payer l’électricité, l’eau, acheter de la nourriture, se préoccuper de la santé de sa famille. Il faudra aussi reprendre progressivement son emploi ou en chercher un nouveau. Il y a aussi le risque d’une multiplication de grossesses non désirées dont toutes les charges retomberont sur les épaules des femmes.