Tribune "Les paysans exclus du succès économique rwandais" dans Le Monde

Pour la diplomatie française et d’autres acteurs internationaux, le Rwanda fait maintenant partie des « pays émergents » prioritaires. Les chiffres ne démentent pas la position du Quai d’Orsay. 8,2 % de croissance annuelle moyenne ces cinq dernières années et un taux de pauvreté en recul. Ces résultats probants ont permis d’acquérir la confiance des bailleurs internationaux, qui financent plus de 40 % du budget du Rwanda.

Dans les faits, la majorité des efforts du gouvernement concerne le milieu urbain et particulièrement Kigali, déclarée « meilleure capitale africaine » par l’ONU en 2008. La priorité porte sur le secteur des services qui représente maintenant la majorité du PIB, le secteur bancaire et le tourisme. Les rues de la capitale rwandaise sont propres, de multiples tours poussent dans le centre-ville, l’immense chantier du Palais des Congrès est le symbole de la transformation de la ville Pourtant on passe sans transition et en peu de temps de buildings et supermarchés à des maisons sans électricité ni eau courante.

Le Rwanda est le pays le plus densément peuplé d’Afrique. Alors que 81,7% de la population rwandaise vit en zone rurale, son enclavement au sein de la région des Grands Lacs et son relief très accidenté aggravent la pression foncière, qui n’est pas étrangère au génocide de 1994. La situation démographique est d’autant plus critique que le développement économique n’est pas en mesure d’assurer à tous des conditions de vie décentes. La pauvreté reste massive, les inégalités se creusent : selon les Nations unies, 63,2% de la population vit avec moins de 1 euro par jour.

UNE AGRICULTURE DÉPENDANTE DE L’EXTÉRIEUR

Les paysans rwandais n’ont que de petites parcelles de terre à cultiver (0,32 hectares en moyenne). Sans appui, ils n’ont aucune opportunité pour développer des activités leur permettant de sortir de leur situation de survie. Facteur aggravant, l’économie rurale est durement touchée par la concurrence des produits d’importation à bas prix. L’éducation, la formation professionnelle et l’emploi constituent donc un défi majeur dans un pays où la moitié de la population a aujourd’hui moins de 15 ans. Faute de trouver du travail dans les campagnes, bon nombre de jeunes Rwandais s’exilent vers Kigali en quête d’une vie meilleure provoquant des bouleversements économiques, sociaux et culturels.

En 2007, le gouvernement rwandais a lancé le Programme d’intensification culturale (CIP) afin de répondre aux engagements pris dans le cadre du Programme détaillé pour le développement de l’agriculture africaine (PDDAA) et du FMI. Grâce à ce programme, la production agricole nationale aurait augmenté d’environ 14% par an. Mais en favorisant une agriculture industrielle et des monocultures de blé et de maïs destinées à l’exportation, il a aussi créé une dépendance vis-à-vis des marchés internationaux, des importateurs de semences améliorées, engrais chimiques ou pesticides nécessaires à cet objectif d’industrialisation de l’agriculture. Surtout le programme gouvernemental se fait au détriment de cultures traditionnelles considérées comme insuffisamment productives.

Enfin, le CIP concentre essentiellement ses efforts sur une minorité de paysans pour la plupart organisés en coopérative et exploitant les terres les plus fertiles, au détriment de la grande majorité des paysans vivant dans les collines soumises aux problèmes d’érosion.

Un exemple révélateur : au Rwanda, posséder une vache est souvent perçu comme un signe de richesse. Sur le bord des routes, il est d’ailleurs fréquent de voir des panneaux publicitaires proposant des prêts bancaires attractifs pour l’achat d’une vache. Cette idée est également largement véhiculée par le gouvernement qui a mis en place un programme d’achat et de distribution de vaches aux paysans : « Une vache par famille ». Mais pour les milliers d’agriculteurs pauvres, ce programme n’est pas adapté faute de pouvoir cultiver un hectare de fourrage au minimum pour nourrir l’animal.

TROUVER DES ALTERNATIVES

Dans ce pays où 90% de la population est engagée dans l’agriculture, il est vital de proposer des alternatives. Des ONG rwandaises se mobilisent pour donner leur place et des perspectives aux paysans rwandais. Leur objectif premier est de garantir leur autosuffisance alimentaire en introduisant notamment des techniques d’élevage et de maraîchage adaptées aux petites parcelles.

Avec l’excédent de leur production, ils peuvent aussi dégager un revenu pour faire face aux frais de scolarité et de santé des familles et donc améliorer leur niveau de vie. Au-delà de ce bénéfice direct, l’objectif de ces ONG est d’aboutir à une transformation durable de la situation des paysans. L’organisation collective joue une part importante. Des « groupements » de paysans sont mis en place. Une fois par semaine, ils aménagent, ensemble, leurs parcelles notamment pour lutter contre l’érosion des sols et l’effet des pluies sur les terres. Tout aussi important, ils échangent entre eux leur savoir-faire, identifient les problèmes qu’ils rencontrent et trouvent des solutions ensemble, afin que chacun progresse en même temps et dans la même direction.

Mais pour un changement durable, il est nécessaire que les autorités locales et nationales appréhendent les problématiques rencontrées par ces paysans des milieux ruraux. C’est l’objectif des formations de « leaders » paysans, qui ont pour but de donner les instruments et les méthodes pour dialoguer avec les autorités locales, afin que les besoins des populations et les solutions qu’elles proposent soient transmis au niveau national. En fin de compte, c’est en connaissant les actions de terrain mises en œuvre par les populations et les ONG que les pouvoirs publiques pourront concevoir des politiques adaptées, pour que tous soient associés à l’essor du Rwanda

Publié le 3 avril 2014 dans Le Monde