Sénégal : « c’est maintenant que le collectif paysan peut et doit jouer son rôle »

Marie Pierre Djekou est volontaire pour Frères des Hommes auprès de l’Union des Groupements paysans de Méckhé, dans le centre du Sénégal. Elle a vu arriver la crise sanitaire dans une région très rurale où la solidarité paysanne joue plus que jamais son rôle.

Quelle a été la réaction des autorités sénégalaises ?

L’état d’urgence sanitaire a été déclaré d’abord pour 12 jours puis prolongé jusqu’au 4 mai avec un couvre-feu de 20h à 6h, l’interdiction de se rassembler dans les espaces clos ouverts et celle de se déplacer entre les régions. On pouvait se déplacer avant avec une autorisation spéciale, ça n’est plus possible. Aller de Méckhé à Thiès est autorisé car il s’agit de la même région mais les prix ont tellement augmenté que la population est de fait incitée à rester chez elle. Toutes les écoles sont fermées jusqu’au 4 mai. Sinon toute l’activité économique est ralentie. Pour ceux qui travaillent de petits métiers, dans les restaurants, les hôtels, ceux qui vivent au jour le jour, c’est très compliqué. L’Etat a mis en place un fonds d’aide pour permettre aux familles défavorisées d’avoir accès aux produits de première nécessité. Les communes vont gérer la distribution de cette aide. Il y a aussi eu des mesures de prises sur le plan fiscal ou d’allégement de factures d’eau et électricité. Il y a aussi un fonds de solidarité qui recueille tous les dons pour contribuer à la lutte contre la pandémie. Etant donné que le 1er cas a été identifié le 2 mars, on avait déjà vu ce qui se passait en Europe, les mesures sont arrivées assez vite. On voit notamment plein de campagnes de sensibilisation sur le virus un peu partout. Ça a permis de contenir la propagation, les personnes infectées ont été identifiées. Il n’y a plus de cas importés. Les cas sont communautaires maintenant et on suit leur évolution.

Comment a réagi la population à Méckhé, qui se trouve dans une zone rurale du Sénégal ?

Au début les gens avaient du mal à croire dans cette pandémie, mais au fur et à mesure ils en ont pris conscience. Beaucoup restent chez eux, adoptent les gestes barrière. Beaucoup font des dons, pour des familles plus vulnérables, pour les écoles d’enfants talibés. Il y a un gros impact économique car tout est ralenti, il n’y a plus de marché le lundi. L’effervescence habituelle n’est plus là. Et même dans les rues de Méckhé il n’y a personne alors que la ville est sur une voie de passage, vers saint Louis. Des camions de marchandise passent mais tous les bus et voitures ont disparu. Il y a quand même des gens qui trouvent des parades pour aller à Dakar, mais c’est pénible d’y parvenir.

Les paysans peuvent aller sur leurs champs ?

Oui, les gens dans les villages vont toujours sur leurs champs. Les paysans sont en train de les préparer pour la prochaine campagne de culture. Après il y a quand même une petite inquiétude sur l’accès aux semences que l’Etat subventionne habituellement, ce qui ne sera peut-être pas le cas avec cette crise.

Arrivent-ils à écouler leur production ?

Ils sont obligés de se rabattre sur le commerce de proximité, comme ils ne peuvent plus aller à Méchké. Les gens s’inquiètent mais pour le moment la situation reste stable. Les produits locaux, le niébé, le mil se conservent bien. C’est surtout ce qui vient de l’extérieur qui risque de manquer Ceux qui ont les moyens font des provisions, mais pas comme à Dakar où la population s’est ruée sur les supermarchés

On voit des gens de Dakar qui reviennent ?

Ils sont obligés de revenir. A Dakar tout est ralenti et les gens qui vivent de petits métiers, de manière journalière, ne peuvent pas tenir. L’arrêt de toutes les cérémonies religieuses, qui étaient un moyen de vivre pour certaines personnes, a aggravé la situation. A Dakar, tout est beaucoup plus compliqué, si tu n’as pas de quoi vivre, si tu ne peux pas travailler et que tu as un loyer à payer. Ceux qui rentrent étaient déjà dans une situation précaire. Il n’y a pas eu plus de pression que ça dans les familles qui les ont vu revenir, la solidarité est là. Et quand tu pars travailler à Dakar, c’est d’abord pour aider ta famille. Au village on vit de la terre, c’est un peu plus facile. La ruée sur les supermarchés n’a pas eu lieu et la maladie n’est pas encore très présente. La situation n’est pas aussi anxiogène, le confinement n’est pas total donc on n’est pas en prison chez soi.

Quelle est l’activité de l’UGPM ? Est ce qu’ils arrivent à maintenir le contact avec les groupements paysans ?

On avait totalement fermé une semaine et demie. Les bureaux ont rouverts mais pour ceux qui ont besoin d’y venir. Il n’y a plus d’activités d’équipe, plus de réunion, plus d’activités de terrain. On maintient le lien entre nous avec un groupe WhatsApp. J’ai aussi travaillé sur un système d’infos interne. Certains animateurs contactent les groupements directement pour prendre des nouvelles.
Avant l’état d’urgence, l’UGPM avait appuyé les autorités locales dans la sensibilisation sur l’épidémie. Là ils sont en train de voir comment ils peuvent aider les groupements sur les questions de semence, puisque on n’est pas sûr que l’Etat puisse subventionner ces semences comme il le fait d’habitude. Certains groupements participent à la lutte contre la pandémie en faisant des achats de produits d’hygiène. L’UGPM les accompagne. L’équipe essaye de rester au courant de ce qui se passe à ce niveau. On se concentre sur ce qui peut être fait à distance. Je ne pense pas que le confinement délite le lien dans le groupement, c’est justement une période où il peut et doit jouer son rôle de vecteur de solidarité justement avec des activités comme les achats collectifs, les greniers collectifs.