Sénégal, Rwanda, Haïti : Ne pas être là pour les paysans était une chose impensable

Fermer les bureaux, ne pas être là pour les paysans était une chose impensable pour nos partenaires sénégalais, haïtien et rwandais. Au Rwanda, « le contact n’a jamais été coupé, juste ralenti », indique Juvénal Turahirwa, directeur d’Adenya, une des organisations partenaires de notre projet “Récasé” dans le sud du pays : « Nos animateurs ont toujours été en contact avec les collectifs paysans. Quelquefois ils allaient directement rendre visite aux familles paysannes, selon leurs besoins. » « Ces animateurs, ajoute Thomas Brigatti, volontaire de Frères des Hommes au Rwanda, sont allés sur le terrain pour des choses qui ne pouvaient pas attendre. Sinon ils travaillaient beaucoup avec le téléphone. Il y a aussi eu quelques réunions organisées dans les collectifs mais dans des conditions de sécurité sanitaire strictes. On s’est beaucoup adapté. On a vu ce qui était faisable.  »

À 7 426 km de là, au Sénégal, Ndiakhate Fall est secrétaire général de l’Union des Groupements Paysans de Meckhé (UGPM), autre partenaire de Frères des Hommes : « Nos membres ont un sentiment d’appartenance réel. Ce sentiment était présent avant la crise, mais maintenant les gens se rendent encore plus compte que l’UGPM est toujours là pour eux. Nous n’avons pas fermé quand la maladie s’est déclarée, on s’est dit qu’il fallait qu’on maintienne une permanence, les paysans devaient avoir un interlocuteur. Il fallait qu’on soit là. » « Certains groupements dit Marie-Pierre Djekou, volontaire de Frères des Hommes au Sénégal, ont participé à la lutte contre la pandémie en achetant des produits d’hygiène. C’est justement une période où le collectif paysan peut et doit jouer son rôle de vecteur de solidarité justement avec des activités comme les achats collectifs, les greniers collectifs. »

Comment les paysans vont-ils réagir ?

C’est aussi ce que dit Sarah Hopsort, volontaire de Frères des Hommes auprès du MPP : « D’autres organisations haïtiennes ont choisi de se confiner. Si le MPP montre que la situation est hors de contrôle, que les bureaux ferment, comment les gens vont réagir ? Le choix a été fait de continuer les actions en prenant plus de précautions. C’est un symbole fort car l’État n’est pas là pour rassurer la population. » Le constat est partagé par l’ensemble de nos organisations partenaires : le système économique et social de leurs pays respectifs a aggravé les conséquences de la crise sanitaire. Dès les premiers jours des différents confinements ou restrictions de déplacement, les plus impactés ont été « ceux qui peuvent manger seulement lorsqu’ils travaillent. Pour ces gens-là, la crise a été un vrai problème » comme dit Fidèle Mutabazi, de l’organisation Duhamic-Adri et autre coordinateur du projet “Récasé” au Rwanda.


Formation des futurs animateurs du Mouvement paysan Papaye en Haïti (Crédit photo : Mouvement paysan Papaye

A Port-au-Prince ou à Dakar, où la propagation du virus a été la plus forte, les conditions d’habitation de la population, le manque de moyens et d’infrastructures ont touché de plein fouet les populations en situations de vulnérabilités. « Les infrastructures sanitaires, souligne Mulaire, n’existent quasiment pas en Haïti. Nous avons un sentiment de révolte par rapport à la manière dont le gouvernement gère la crise. L’argent est en train d’être gaspillé, on ne voit pas les masques arriver, les hôpitaux sont dans un très mauvais état. 18 millions de dollars ont été dépensés dans l’achat de matériel médical en Chine, où est ce matériel ? »

Des familles paysannes déjà vulnérables

Globalement, les campagnes sénégalaises, haïtiennes et rwandaises ont été plus épargnées par le Covid-19 que les villes, beaucoup d’habitants de Dakar ou de Kigali y ont trouvé refuge dès le début de la crise. Dans une certaine mesure, le virus était « un de leurs problèmes mais pas forcément le principal », comme le dit Sarah. Les conséquences sociales et économiques ont, elles, été plus graves. L’économie au ralenti, l’impossibilité de se déplacer, la saison culturale sur le point de débuter, l’absence de semences, tout cela a fortement touché des familles paysannes déjà vulnérables. « La grande partie des paysans que nous accompagnons, témoigne Juvénal, cultive aussi pour d’autres propriétaires, des commerçants, des enseignants, qui eux étaient tous confinés. Ça a eu un impact. En termes de sécurité alimentaire, cette période a fait des dégâts, beaucoup ont empiété sur leurs réserves, c’était une affaire de survie. » Dans le Kayor, où se situe l’UGPM, les paysans qui tenaient des commerces n’ont pas pu les ouvrir, ce qui a eu comme conséquence une forte diminution de revenus, un épuisement des stocks et moins d’accès aux semences. Que réserve le futur maintenant ? En Haïti, le MPP continue son travail de sensibilisation et a lancé pour les paysans un plan d’activités agricoles avec des formations techniques et l’achat de matériel ou de semences, « avant que la pluie n’arrive » prévient Mulaire.


Paysans rwandais, participants du projet “Récasé”

Au Rwanda, « seules les actions avec un nombre limité de personnes sont poursuivies mais nous n’avons pas repris les grandes réunions ou les formations des paysans » dit Juvénal. L’UGPM, au Sénégal, se concentre sur « la campagne de plantation qui va démarrer en facilitant l’accès des paysans aux semences de niébé ou d’arachide car les subventions de l’État sont incertaines… » Tous continuent leurs activités en étant convaincus que la période d’« après » peut être meilleure. « Depuis des années, conclut Ndiakhate, les organisations paysannes parlent de souveraineté alimentaire, mais les décideurs n’ont jamais écouté. Aujourd’hui, ils en sont davantage conscients. A nous maintenant de mettre en avant la souveraineté alimentaire et l’agroécologie. »