La situation chez nos partenaires (au 15 avril)

Nos partenaires poursuivent, comme Frères des Hommes, leurs actions du mieux possible face à la crise sanitaire. Ils s’adaptent à des contextes sociaux et économiques qui deviennent de plus en plus compliqués. Quelle est leur situation et celle des populations qu’ils accompagnent, dans le Haut Plateau Central en Haïti, à Bangalore en Inde, à Butaré dans le sud du Rwanda, dans la région du Kayor au Sénégal, à Bukavu en RDC et dans la banlieue de Lima au Pérou ?

Haïti :

Le contexte est très changeant dans le pays. La pandémie est en train d’évoluer de façon lente mais comme les tests ne sont pas faits de façon massive, il n’est pas possible de confirmer les chiffres publiés par le Ministère de la santé publique et de la population. Il y a toujours un écart entre les chiffres officiels et les cas avérés du fait de la superstition des gens qui ne vont pas se faire soigner, de ceux qui n’y croient pas (théorie du complot) donc ne se protègent pas et ne protègent pas les autres et de la frontière avec la République dominicaine qui est-elle largement touchée. 33 cas positifs ont été identifiés et trois décès ont été répertoriés (statistiques de l’Université John Hopkins) mais surtout la « transmission communautaire » de la maladie a commencé, des foyers locaux apparaissent.

Le Mouvement paysan Papaye (notre partenaire) va mettre en place dans les jours qui arrivent des campagnes de sensibilisation porte-à-porte auprès de la population sur les précautions à prendre. Dans chaque section communale au niveau du département du Centre va être mise sur pied une équipe de mobilisation pour faire circuler et distribuer les informations venues du MPP sur le COVID 19. Le MPP souhaiterait aussi distribuer des kits sanitaires pour venir en aide aux familles les plus vulnérables dans le département du Centre. Certaines activités du projet continuent notamment celles qui ne nécessitent pas des réunions de plus de 10 personnes, notamment la restitution d’un diagnostic économique des communes de Hinche et Mirebalais, préalable au début d’activités économiques au sein des collectifs paysans de la zone. C’est une phase importante du début du projet. Frères des Hommes continue le travail à distance avec le MPP sur l’accompagnement de ces groupements (choix des modules de formation, adaptation de l’accompagnement des animateurs du MPP).


Inde :

Le confinement de 21 jours décidé par le gouvernement indien a été très soudain, prenant les Indiens de court. Avant cette décision les écoles avaient été fermées, ce qui a mis les parents (ouvrières du textile, employées de maison) dans une situation compliquée. Leurs employeurs refusant de leur donner des jours de congés. Les usines aussi avaient été fermées. Beaucoup de travailleurs du textile partis pour une fête religieuse la veille de la décision de confinement se sont retrouvés bloqués dans leurs villages sans pouvoir revenir dans les villes. En sens inverse, de très nombreux « migrants de l’intérieur » ont fui les villes dès l’annonce du confinement mais aucun bus, train ou avion ne fonctionnait. A l’annonce de la fermeture des usines, Fedina, notre partenaire, a commencé à mettre en place des « groupes de solidarité » pour aider les ouvriers. Puis le confinement a été annoncé, avec une police devenue très agressive et une population qui en trois heures a pris les magasins d’assaut. Fedina a commencé à recevoir des appels d’ouvriers, de travailleurs retraitées, de travailleurs migrants pour de la nourriture, de l’essence. Avant le confinement, les retraitées pouvaient obtenir de la nourriture de la cantine publique et les travailleurs migrants achetaient souvent leur nourriture à crédit dans les magasins. Ces cantines ont fermé et les rares magasins ouverts ont cessé le crédit. Quelques organisations se mobilisent, des individuels aussi pour distribuer de la nourriture (riz, huile, sucre) mais l’Etat n’est pas préparé aux conséquences du confinement. Il essaie de s’appuyer sur les ONG du pays. Les statistiques montrent une évolution lente du virus mais les chiffres ne reflètent pas la réalité car le système de test est très faible. On compte 279 cas positifs et 12 décès dans l’Etat du Karnataka
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La plupart des activistes/animateurs de Fedina sont rentrés dans leur ville ou village natal, seuls 6 sont restés à Bangalore. Ils peuvent grâce à un système de permis spécial donné aux ONG aller à la rencontre des populations des bidonvilles. De la nourriture a pu être distribuée à 200 travailleurs. Dans les villes de Bijapour et Bidar, la situation est identique et des actions ont été organisées par Fedina. Un projet de fabrication de masques par les groupes d’employés de maison est envisagé et peut être une source de revenus, mais les matériaux sont durs à trouver. Fedina est aussi en train de travailler sur une liste de personne en besoin de masques. Les activités du projet avec FDH sont suspendues.


Sénégal :

Le couvre-feu a été prolongé de 3 mois, les transports restent limités mais cette dernière règle a du mal à être respectée. Beaucoup de jeunes habitant à Dakar, dans l’impossibilité de travailler, ont peur d’être confinés dans la ville et cherchent par tous les moyens à rentrer dans leur village. Le risque de circulation du virus est bien réel et la police sénégalaise essaye, parfois violemment, d’empêcher ce transfert de population. Beaucoup de transports sont à l’arrêt. La limitation des transports impacte aussi fortement l’approvisionnement en denrées car peu de chauffeurs veulent rouler de jour. La consommation baisse aussi faute d’évènements publics (religieux, rassemblements familiaux).
L’Etat hésite à imposer le confinement car la population n’a pas de quoi s’alimenter et qu’une aide alimentaire prendra du temps. Certains sont en train de faire des réserves pour préparer un possible confinement. C’est une réalité assez propre aux villes, la situation est moins tendue en milieu rural. A Méckhé, la population respecte dans l’ensemble les mesures gouvernementales. Les paysans peuvent continuer à cultiver leurs terres, ils préparent la campagne agricole. Dès les premières pluies, en juillet, ils commenceront à semer. Le marché local a fermé. Conséquences positives du couvre-feu et des limitations de déplacements : moins d’insécurité (moins de vols de bétail, moins de crimes, baisse des agressions). La question des vivres de soudure se pose car la campagne agricole de l’année dernière a été mauvaise. Se pose aussi le problème de la disponibilité des semences de manière assez cruciale, il y aura besoin d’un appui de l’Etat. Un Etat qui a déclaré prendre en charge les factures d’électricité et eau pour 2 mois, sous certaines conditions, ce qui semble assez difficile à faire appliquer en milieu rural. Enfin, existe un risque de tension vers la fin avril avec le début du Ramadan.

Certains membres de l’équipe de l’Union des Groupements Paysans de Meckhé continuent de venir dans les locaux, les autres restent chez eux. Les réunions sont suspendues. Les animateurs restent en contact à distance avec les différents groupements et sont informés sur ce qui se passe dans les villages. Certains groupements ont mise en place des achats groupés de produits d’hygiène, pour faciliter les gestes barrières. En ce moment, en lien avec Frères des Hommes, sont en chantier à distance la finalisation d’un guide sur l’agro-écologie, la capitalisation sur les collectifs et la mise en place d’un système de partage d’information au sein de l’UGPM.


RDC :

L’accès aux autres provinces, notamment le Nord-Kivu, est fermé, ce qui cause de gros problèmes d’approvisionnement et entraine une augmentation des prix. La fermeture de la frontière avec le Rwanda a les mêmes conséquences. Le marché de Bukavu est toujours ouvert mais de moins en moins de produits y sont vendus. Aucune mesure d’accompagnement n’est jusque-là envisagée par l’Etat pour soutenir la population. La situation est globalement confuse, il y a un vrai manque d’informations. Malgré cela la prise en compte de la crise progresse parmi la population, il y a moins de monde dans les rues. La ville de Bukavu vient d’enregistrer 3 cas positifs (234 au niveau national, pour 20 décès). Les femmes et les jeunes filles sont particulièrement vulnérables dans cette crise, souvent victimes de nombreuses violences. Elles sont aussi plus exposées au virus car ce sont elles qui se rendent au marché.

Les bureaux de l’APEF sont encore ouverts mais ne doivent pas accueillir plus de 5 personnes, l’équipe présente tourne. Les autres salariés travaillent à distance. Le projet avec Frères des Hommes touche à sa fin avec un travail de bilan en cours et de préparation/co-construction de la phase 2. Le lien se fait beaucoup par le téléphone avec les femmes qui ont été formées et qui étaient sur le point de monter leur collectif de production. Il arrive que des rencontres en petit comité (pas plus de 5 personnes) soient organisées entre d’anciennes « apprenantes » et les nouvelles diplômées du centre de formation pour un partage d’expérience. Est aussi envisagé par l’APEF que ces nouvelles diplômées puissent participer à la confection de masques.


Rwanda :

126 cas ont été confirmés dans le pays. Aucun décès. A Butaré, dans le sud (où est localisé notre projet) il n’y a pas de cas avéré. Les paysans vont encore sur leur terre, ils peuvent encore écouler leur production, les marchés sont ouverts, mais seulement 4h par jour. Tout est au ralenti voire à l’arrêt. Les propriétaires chez lesquels travaillent les paysans n’embauchent plus, faute de moyens, les paysans se retrouvent donc aussi avec moins de revenus et ne peuvent plus acheter la production des autres paysans. Tous les magasins sont fermés à part les commerces alimentaires qui ferment à 17h30.

Les animateurs de proximité (au contact régulier des paysans. Ils habitent souvent le même village ou la même zone) arrivent à se rendre sur le terrain mais de manière très parcimonieuse et si cela est absolument nécessaire. Plus personne ne peut se rendre dans les locaux de Duhamic-Adri et Adenya à Butaré, la police est bien présente. Les équipes fonctionnent en télétravail ou par téléphone. Leur travail s’adapte et se concentre notamment sur un module de gestion des Organisations communautaires de base et un bilan avec les paysans formateurs pour améliorer la période post formation. Va aussi être bientôt enclenchée l’évaluation du projet, en lien avec Frères des Hommes.


Pérou :

Le confinement est prolongé jusqu’au 26 avril (décision de l’Etat annoncée en fin de semaine). Le couvre-feu perdure, de 18h à 5h du matin. Dans le nord du pays, il débute à 16h. La répartition des sorties, 3 jours pour les hommes, trois jours pour les femmes, a engendré des scènes d’attroupements dans les marchés les jours où les femmes sont autorisées à sortir. Au contraire ces mêmes marchés sont vides les jours où les hommes peuvent sortir. On a aussi noté plusieurs cas d’harcèlement ou d’agressions physiques de la part de la police et de l’armée en direction de la population trans. Le climat général est à une inquiétude grandissante de la population. Le pays va bientôt être confiné un mois mais la pandémie progresse. La peur d’être contaminé et de ne pas pouvoir vivre de son activité grandit de plus en plus. Plus de 70% de la population travaille dans les métiers informels au Pérou. Le pays compte actuellement 7 519 cas pour 193 décès. A San Juan de Lurigancho, la préoccupation est encore plus importante, ne serait-ce que pour l’accès à l’eau qui est couteux et difficile dans les parties hautes du district, le plus peuplé de Lima. Ce sont des populations en situation d’extrême pauvreté qui n’ont pas toujours été inclues dans l’aide d’urgence prévue par le gouvernement péruvien de 100€ pour 15 jours. La base de données est ancienne, elle n’a pas été réactualisée. Beaucoup de familles ne reçoivent pas cette aide. Cenca a répertorié 375 familles dans les parties hautes de San Juan de Lurigancho qui n’avaient pas reçu l’aide de l’Etat. La population ne peut sortir gagner sa vie. Il n’y a aucun revenu. Ceux qui tiennent des magasins alimentaires peuvent sortir, les autres non. Beaucoup d’hommes travaillent dans le bâtiment, ils ne peuvent plus.

Cenca a réussi à nourrir plus de 350 familles avec leur campagne de dons. Toute l’équipe est très mobilisée sur la distribution de nourriture. Abilia une des salarié.e.s de Cenca et Davis, son co-directeur, s’organisent pour distribuer eux-mêmes les paniers alimentaires aux familles les plus vulnérables, avec l’aide des jeunes de la paroisse (qui habituellement abrite les réunions du projet Habla Mujer).