Haïti : « Le choix qui a été fait est de continuer les actions »

Sarah Hopsort est volontaire de Frères des Hommes auprès du Mouvement paysan Papaye, elle témoigne de la crise sanitaire et de ses conséquences à Papaye, dans le centre du pays.

Comment les habitants du centre ont répondu à la crise sanitaire ?

Il n’y a pas de confinement en Haïti car le gouvernement sait qu’il ne peut pas l’imposer donc il se contente d’inviter les gens à rester chez soi. On peut encore se déplacer, mais les autorités ont exigé que les transports ne soient qu’à moitié pleins. Il y a donc plusieurs types de réactions dans la population. Certains ne croient pas au Covid, ils se disent que c’est une tentative du gouvernement pour calmer la crise sociale. Ils pensent que ça peut se passer dans d’autres pays mais qu’en Haïti ça n’est pas arrivé. Peu de personnes ont vu des gens mourir ou tomber malades donc cette partie de la population n’y croit pas. C’est vrai que nous recevons peu d’informations sur le nombre de décès. Les chiffres officiels disent qu’il n’y a que 40 cas contagieux mais personne n’y croit. On sait très bien que le gouvernement ne peut pas aller voir des familles qui habitent par exemple à 5h d’une route bitumée. Heureusement une majorité des Haïtiens a pris conscience de la situation. Ils s’informent, ils prennent leurs précautions comme ils peuvent mais il est très difficile de suivre les mesures que le gouvernement conseille. Que ce soit les paysans ou d’autres travailleurs, on ne peut pas ne pas aller travailler. En général, la vie quotidienne dépend du travail journalier. Même si ils sont conscients des risques, même si le gouvernement les incite à rester chez eux, il n’y a aucune aide publique concrète. Tu restes chez toi, ok, mais tu vis comment ? Le gouvernement envoie des sms, passe des messages dans la rue. Il y a des campagnes de communication, qui sont bien relayées par la société civile. Et les gestes barrière sont globalement appliqués. Je parlais avec une personne récemment qui vit dans une situation de précarité assez forte. Je me demandais quel type d’informations elle avait. Sa famille était très au courant, elle m’a montré tous les gestes à faire. Mais ces gestes apportent une contrainte. Se laver les mains, d’accord, mais la plupart des gens n’ont pas l’eau courante chez eux. Ça veut dire que tu as besoin de plus d’eau, donc tu feras plus d’allers-retours entre la rivière et chez toi pour avoir deux ou trois bidons d’eau supplémentaires.

Le MPP intervient en milieu rural, est ce que les campagnes réagissent différemment par rapport aux villes ?

La pression n’est pas la même en ville, les zones urbaines sont les plus touchées comme Port au Prince ou les villes du nord comme Jacmel. Elles sont densément peuplées et ont donc plus de cas. A Papaye si tu es paysan, tu peux sortir sans rencontrer personne ou alors si tu la rencontres, tu peux rester facilement à distance. A Port au Prince, tu ne peux pas respecter la distance entre les habitants. Ils ont donc moins de moyens pour se protéger. L’accès à l’eau est aussi problématique car les points d’eau sont rares, tu seras plus en contact avec d’autres personnes. Comme la région du centre est moins dense, nous sommes plus protégés, par contre le point commun avec les villes c’est que les modes de transport restent les mêmes : les taxis-moto où les gens montent à trois ou quatre, même si le gouvernement a interdit ce type de pratique. Par exemple un bus de 15 places ne doit transporter que sept personnes, donc la place est plus chère. Mais les gens ne peuvent pas se permettre de payer plus cher.

Est-ce que les paysans peuvent aller sur leur terre ?

Leur vie n’a pas changé en fait. Ils peuvent continuer à travailler. Les marchés ne sont pas limités et même si ça devait l’être, l’Etat n’a pas les moyens de faire respecter une telle mesure. Malgré toute la dangerosité du Covid c’est un de leurs problèmes mais pas forcément le principal. Ils préparent les sols, les semis, ils attendent la pluie mais elle ne vient pas. Ils sont dans d’autres calculs. Ils font leur travail de paysan, il n’y a pas d’alternative. La pluie qui n’arrive pas peut causer des pénuries alimentaires, les réserves commencent à baisser. Mais ils prennent quand même leur précaution par rapport au virus, ils font ce qu’ils peuvent. La fermeture de la frontière avec la République dominicaine les a handicapés car peu de marchandises rentrent, et souvent les paysans font aussi un peu de commerce à côté. Les prix augmentent, car tout coûte plus cher.

Le MPP se mobilise par rapport à la crise sanitaire, comment ?

Ils ont commencé par réaliser des prospectus imagés, en créole, sur les gestes barrières et informer les paysans sur le Covid. Comme le MPP a des animateurs un peu partout sur le terrain, ils forment des groupes de personnes qui vont faire de la prévention et essayer de mettre en place des cellules de veille pour suivre le virus. Ça prend du temps, certaines zones sont plus ou moins accessibles. Ils ont aussi commencé à travailler sur la fabrication de masques en tissu pour en distribuer. Est aussi en projet un spot radio. Si le MPP se mobilise de cette façon c’est que l’Etat est défaillant. Si le virus se propage, il va rester plusieurs mois donc les organisations se mobilisent fortement. Pour le moment la propagation est assez lente mais progressive. Un mois avant il n’y avait que deux personnes de contaminés on en est à 40, mais on a tellement peu d’information.

Les actions du mouvement continuent malgré la crise ?

Le MPP est dans un questionnement assez fort car toutes ses décisions auront une grande résonance ici, en milieu rural. D’autres organisations haïtiennes ont choisi de se confiner. Si le MPP montre que la situation est grave, que les bureaux ferment, comment les gens vont réagir ? Est ce qu’ils ne vont pas se sentir abandonnés ? Et en même temps il y a des actions à mettre en place. Le choix qui a été fait est de continuer les actions en prenant le plus de précautions. C’est un symbole fort car l’Etat n’est pas là pour rassurer la population.

Comment est maintenu le lien avec les groupements ?

Le MPP est présent quotidiennement sur le terrain grâce à ses animateurs ou ses techniciens agricoles. Ils vivent sur place et continuent de réunir avec les représentants de ces groupements ou passent voir les paysans individuellement.

Quelles sont les actions du projet avec Frères des Hommes qui se poursuivent ?

Nous avons pris la décision d’accompagner 16 groupements, dans un 1er temps, dans la construction d’un plan d’activités agricoles avec l’achat de matériel ou de semences. Il faut lancer ces activités avant que la pluie arrive. Si on ne le fait pas maintenant il faudra attendre la prochaine saison culturale. On a questionné les paysans, on a élaboré ce plan avec eux, on va voir lesquels peuvent démarrer. Avec Frères des Hommes, va aussi être mis en place tout un travail de travail de renforcement stratégique du MPP.