Billet de blog 10 juin 2014

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Au Brésil, la «belle coupe du monde» rime avec inégalités

Yves Altazin, de Frères des hommes, et Frédéric Apollin, d’Agronomes et vétérinaires sans frontières, qui travaillent avec les paysans du Mouvement des sans-terres, replacent le mouvement social au Brésil dans son contexte, celui d'un des pays les plus inégalitaires d'Amérique, où les bénéfices de la coupe du monde de foot, qui démarre le 12 juin, ne seront pas les mêmes pour tout le monde.

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Yves Altazin, de Frères des hommes, et Frédéric Apollin, d’Agronomes et vétérinaires sans frontières, qui travaillent avec les paysans du Mouvement des sans-terres, replacent le mouvement social au Brésil dans son contexte, celui d'un des pays les plus inégalitaires d'Amérique, où les bénéfices de la coupe du monde de foot, qui démarre le 12 juin, ne seront pas les mêmes pour tout le monde.


« Il faut absolument dire aux Brésiliens qu’ils ont la Coupe du monde et qu’ils sont là pour montrer les beautés de leur pays et leur passion pour le football. Faites un effort pendant un mois, calmez-vous. » Cette déclaration de Michel Platini en mai dernier montre l’arrogance de la FIFA vis-à-vis des manifestations qui secouent le pays depuis des mois et du Brésil de manière générale. Pour le Mouvement des travailleurs ruraux sans terre (MST), le plus important mouvement social du Brésil, qui vient de fêter ses 40 ans, il ne s’agit pas de manifester contre le principe d’une coupe du monde. Beaucoup parmi ses dirigeants la regarderont ou iront dans les stades. Le problème vient du fait que cette « belle coupe du monde » profitera à une minorité alors que le pays est un des plus inégalitaires d’Amérique du sud, surtout dans les campagnes. 

Une redistribution des richesses très faible

Depuis des décennies, les dépenses des Etats hôtes ne cessent de grandir. Le Brésil a investi près de 3 fois plus que la France en 1998, mais, comme l’a montré l’exemple sud–africain en 2010, les retombées économiques pour la population sont limitées et temporaires car liées à la construction des infrastructures ou à la vente de produits dérivés. Les dépenses publiques sont, elles, majeures et durables. Pour la FIFA, l’opération est gagnante dans tous les cas, sans rien dépenser. La fédération internationale attend un bénéfice de 4 milliards de dollars. Pour cela, elle n’a pas hésité à imposer ses règles. Afin d’assurer le monopole des sponsors officiels, elle a ainsi fixé une « zone d'exclusion » de deux kilomètres autour des stades, empêchant les marchands locaux de concurrencer les sponsors autorisés et les partenaires officiels, dont Adidas, qui devrait enregistrer 2 milliards d’euros de bénéfice. Ces chiffres résonnent d’autant plus fort que 21,4% de la population brésilienne vit avec moins de 1,5 euro par jour. Le pays est aujourd’hui caractérisé par une forte inégalité, malgré des années de croissance et un travail social important sous les présidences de Lula et Dilma Rousseff. La redistribution des richesses est une des plus faibles d’Amérique latine : 1% de la population possèdent 13% des richesses (soit ce que possède la moitié de la population).

Au Brésil, la concentration de la terre est l’une des plus fortes au monde

Cette inégalité touche surtout les campagnes. Au Brésil, la concentration de la terre est l’une des plus fortes au monde. Moins de 2% des propriétés occupent la moitié de l’espace rural, alors que l'agriculture familiale produit la plus grande partie des aliments consommés sur le marché intérieur et emploie la grande majorité de la main d'œuvre agricole.

Pour comprendre la situation des paysans brésiliens, il faut remonter au début de la période coloniale. Le Brésil pratique depuis cette époque une agriculture industrielle, tournée vers l’exportation. Les politiques gouvernementales soutiennent prioritairement les grands propriétaires terriens à travers des aides financières importantes. Cette modernisation de l’agriculture a certes permis d’augmenter la production nationale mais a aussi engendré des conséquences néfastes sur le plan environnemental (déforestation, appauvrissement des sols) et social (accaparement des terres par les agroindustriels). Les immenses profits générés par cette agriculture intensive ne profitent qu’à une petite minorité de grands exploitants qui privilégient la monoculture céréalière et d’élevage, destinée à l’exportation.

Depuis trente ans, des mouvements paysans ont émergé et revendiquent un soutien à l’agriculture familiale. C’est notamment le cas du MST, qui réclame ce qu'il appelle une réforme agraire populaire comportant une distribution de terres aux familles et milite pour une révision de la politique agroindustrielle du pays plus favorable à l'agriculture familiale. Mais la réforme agraire stagne, les priorités de la présidente Dilma Rousseff sont ailleurs : de 2002 à 2013, les exportations des multinationales de l’agronégoce sont passées de 25 à plus de 100 milliards de dollars. Depuis la fin de la dictature militaire, Dilma Rousseff est la présidente qui a le moins redistribué les terres. 

Le MST ne se contente pas de dénoncer la mainmise des grands propriétaires, le mouvement forme lui-même les paysans. C’est le but de l’école Milton Santos créée en 2002, à Maringà, dans l’Etat du Parana. Une centaine d’élèves sont formés aux techniques d’agroécologie, un type d’agriculture qui consiste à utiliser les écosystèmes, plutôt que de chercher à les substituer par des engrais ou pesticides. Le défi est de faire en sorte que ces jeunes, qui sont prêts à émigrer en ville, restent dans leurs communautés et renforcent leur autosuffisance alimentaire.

Le Brésil voit actuellement s’opposer deux modèles de développement agricole. Plus qu’un simple choix économique, de ces derniers découle aussi un véritable choix de société tant la question agricole est centrale au Brésil à bien des égards. En attendant que le Brésil choisisse, l’important est que la population se « calme », comme le dit Michel Platini. Les autorités ont ainsi décidé de ne pas augmenter le prix de la bière avant le coup de sifflet final de la coupe du monde. 

Yves Altazin, directeur de Frères des Hommes
Frédéric Apollin, directeur général d’Agronomes et Vétérinaires Sans Frontières

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